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à conserver les vieux édifices, indices ou berceau des origines de la famille.

Cette aristocratie, modeste dans sa fortune et dans ses goûts, était modeste aussi dans ses manières, dans son abord, dans ses prétentions. Satisfaite du droit qu’on lui reconnaissait, ou mieux de l’hommage tout à fait volontaire qu’on lui rendait en lui décernant les emplois gratuits auxquels du reste tout le monde était éligible, elle les exerçait en conscience et pour le bien de tous. Le caractère distinctif de ces provinces était la sérénité, l’existence paisible, la satisfaction universelle. Hors de chez lui, on voit le Basque ardent, ambitieux, insatiable ; de retour dans ses foyers, cette atmosphère de calme l’envahit et le domine. Inutile d’ajouter qu’autrefois tous les propriétaires résidaient chez eux, vivaient en communication constante avec le curé et leurs paysans, et que ceux-ci n’étaient pas plus respectueux à leur égard que celui-là. De cette présence continuelle des familles distinguées venaient en grande partie le contentement et la tranquillité du pays.

Insensiblement une grande altération s’est produite. La tendance générale de notre siècle, qui pousse vers les villes tout ce qui peut y vivre, s’est fait sentir ici. Ceux qui possédaient assez de fortune sont allés à Madrid, les autres ont voulu habiter la capitale de leur province ou quelque ville de second ordre ; les maisons seigneuriales, qui, rebâties successivement, n’étaient plus des châteaux, sont demeurées désertes, et personne n’y a reparu. En même temps l’antagonisme des villes et des campagnes prenait des proportions dangereuses. Lors du dernier siège de Bilbao, des paysans, curé en tête, sont accourus voir le bombardement et l’incendie qu’on leur avait annoncés. Cet antagonisme s’explique sans peine. Lorsque les chefs naturels des campagnes y résidaient, celles-ci, toujours maîtresses des élections, étaient fières et satisfaites d’imposer aux villes leurs représentans pour diputados, c’est-à-dire pour conseillers-généraux et chefs du pouvoir exécutif, et les élections avaient lieu d’ordinaire dans un sens conciliant. Les villes d’ailleurs étaient bien moins peuplées et bien moins riches que de nos jours. Depuis lors les capitaux des négocians se sont énormément accrus, les fortunes territoriales au contraire sont demeurées stationnaires ; mais, chose plus douloureuse encore pour les campagnes, leurs représentans sont allés augmenter l’importance des villes, où ils n’ont pas tardé à être éclipsés. Grâce à la forme de l’élection, les campagnes imposaient encore leurs candidats, mais de moins en moins elles choisissaient les gens concilians, s’adressant surtout aux propriétaires antagonistes des hommes nouveaux et des idées nouvelles. De leur côté, les villes, à mesure que s’accroissait leur richesse, supportaient moins patiemment la prépondérance des campagnes et commençaient