Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accoutumés à voir dans la nature actuelle. Divers groupes sont peu représentés, d’autres se distinguent par la multiplicité des espèces ; mais l’absence de certaines formes s’explique d’une façon toute simple. Les insectes plus ou moins conservés à l’état fossile vivaient dans les eaux ou près des rivages ; les hyménoptères, qui recherchent les fleurs, des créatures frêles comme des papillons, durent laisser peu de traces. La détermination spécifique absolument rigoureuse des insectes fossiles présente d’ordinaire des difficultés presque insurmontables. Sur les empreintes, les éminences, les sillons, les parties les plus délicates, parfois les plus caractéristiques, sont effacées. Si l’on parvient sans trop de peine à reconnaître le genre, il reste malaisé d’acquérir la certitude que l’espèce fossile offre soit une ressemblance parfaite, soit quelques différences avec l’espèce vivante. Néanmoins il est impossible de ne pas être frappé des analogies.

Un tableau saisissant de la vie dont on trouve les témoins dans la grande formation lacustre d’OEningen a été tracé par le professeur Oswald Heer de Zurich. Plus de 5,000 échantillons d’insectes ont été recueillis dans la localité ; 844 espèces ont été distinguées ; pour nombre d’espèces, les plantes qui les nourrissaient ont été reconnues ; c’est assez pour faire concevoir l’idée très exacte d’un pays. Un grand lac couvrait une partie de la contrée, une forêt s’étendait jusqu’auprès du rivage. Dans l’eau s’agitaient des dytiques analogues à ceux de nos mares, de grandes et de petites espèces, des larves de libellules et de chironomes[1], ainsi que des nèpes et des bélostomes, sortes de punaises aquatiques[2]. Sur les bords du lac s’élevaient des roseaux, et la chrysomèle qui grimpait sur les tiges a laissé des empreintes. Il y avait des ombellifères à OEningen, et l’on retrouve les charançons[3] qui fréquentaient ces fleurs à côté d’abeilles, de bourdons et des jolies mouches tachetées de jaune qu’on appelle des syrphes. Des espèces de la famille des cétoines[4] sortaient du tronc des bouleaux et des saules comme celles de l’Europe moderne. Sur des frênes chantaient des cigales, une cantharide en dévorait le feuillage, des saperdes rongeaient des peupliers.

  1. Petits diptères de la famille des tipulides très abondans dans les eaux stagnantes. La larve toute rouge du plus commun de nos chironomes est bien connue des pêcheurs sous le nom de ver de vase.
  2. Dans le monde actuel, les bélostomes n’habitent que les parties chaudes du globe.
  3. Des lixes.
  4. Trichius amœnus et Valgus œningensis.