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du globe une idée assez étrange ; frappés de certains traits de l’écorce terrestre, et du caractère de divers types de végétaux et d’animaux, ils se figuraient de grandes périodes nettement tranchées ; à chaque époque, une création nouvelle finissant par une extinction générale de la vie. Longtemps persista cette croyance ; convaincus que toutes les espèces anciennes-étaient anéanties, les paléontologistes comparaient les êtres fossiles aux êtres vivans pour en déterminer simplement les principaux rapports ; chaque espèce fossile était jugée distincte d’une espèce actuelle malgré les apparences contraires, par la seule raison qu’elle appartenait à une autre époque.

Les découvertes récentes ont fait ouvrir les yeux ; maintenant zoologistes et botanistes constatent la continuité de la vie d’espèces nombreuses. M. de Saporta, qui s’est occupé avec tant de succès du caractère des flores anciennes, reconnaît la persistance des types à travers les âges[1] ; elle est absolument démontrée à l’égard de bon nombre d’animaux marins. Les explorations des grandes profondeurs de la mer ont en effet procuré la connaissance de polypiers et de mollusques dont les coquilles ne présentent aucune différence appréciable avec des coquilles et des polypiers fossiles appartenant aux formations de la période tertiaire, même aux plus anciennes[2]. Ceux qui ont comparé les individus vivans aux restes enfouis dans un temps infiniment reculé sont des naturalistes profondément exercés à discerner les plus infimes détails de la conformation des êtres. N’oubliant pas sans doute l’opinion naguère encore universellement accréditée, il a fallu l’évidence pour les convaincre d’une similitude que personne ne prévoyait. Des animaux ont résisté à des changemens énormes survenus dans la configuration des terres et des mers, et ils n’ont pas varié : individus vivans et individus fossiles présentent une parfaite identité. Si vraiment des millions d’années se sont écoulés depuis l’origine de la période tertiaire, la preuve de la fixité des caractères spécifiques n’est-elle pas d’autant plus éclatante ?

Après le monde de la mer, les habitans de la terre appellent l’attention. Les insectes des terrains tertiaires ont été l’objet d’études sérieuses et pleines d’enseignemens. Des empreintes trouvées et recueillies en nombre assez considérable dans les schistes d’OEningen en Bavière, dans les gypses des environs d’Aix en Provence, dans les marnes calcaires de l’Auvergne permettent d’apprécier le caractère des faunes[3]. On reconnaît les types que nous sommes

  1. Mémoire sur l’état de la végétation à l’époque des marnes heersiennes de Gelinden, Bruxelles 1873.
  2. Voyez, dans la Revue du 15 janvier 1871, la Vie dans les profondeurs de la mer.
  3. les insectes des terrains tertiaires d’Aix, d’OEningen et de Radoboj en Croatie ont été particulièrement étudiés par le professeur Oswald Heer de Zurich. Un jeune naturaliste du Muséum d’histoire naturelle, M. Oustalet, vient de mettre au jour un travail important sur les insectes fossiles de la Provence et de l’Auvergne : Recherches sur les insectes fossiles des terrains tertiaires de la France, 1874.