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que le coup avait porté, il prétexta sa tournée de visites pour se retirer. — En attendant les maux à venir, dit-il, allons combattre les maux présens. Adieu ; nous en reparlerons.

Vibrac sortit, laissant George absorbé dans ses réflexions, les coudes sur la table et la tête dans ses mains. Arrivé à la grille du château, le docteur se retourna, et dit avec le ton de sarcasme auquel le patois du midi prête une force particulière : — As boutât ta ma din la toumbo ; as estat mousségnat ; tant pis per tu ! (Tu as mis ta main dans la tombe, tu as été mordu ; tant pis pour toi !)

On pourrait croire que M. de Louvignac ne goûta plus le même plaisir à regarder le précieux diamant dont la conquête lui coûtait si cher. Cependant il ne laissa pas d’ouvrir souvent son écrin et d’en admirer la plus belle pièce, tout en poussant de gros soupirs. Une fois seulement il tira de la boîte l’épingle de son père et prit le chemin du cimetière, sans doute avec le dessein de la remettre dans le cercueil ; mais en route il s’arrêta pour faire briller le diamant et lui dire adieu. L’épreuve était trop forte, il revint sur ses pas en murmurant tout bas : — Quand j’aurai rendu à la terre ce chef-d’œuvre de la nature, je n’en serai pas moins malade et condamné. Si je dois mourir de la pierre, la possession ou la perte de ce joyau n’y changera rien. C’est pourquoi je le garde.

Afin de n’être plus tenté d’enfouir son diamant, il fit réparer les dégâts du monument funèbre, sceller solidement les pierres des caveaux et restaurer les vitraux. À partir de ce moment, George de Louvignac fut travaillé par la crainte d’une maladie héréditaire. Si éloignée ou si lente que dût être cette maladie, la menace lancée par le docteur et nettement formulée n’en était pas moins effrayante. L’attente d’un mal certain ou seulement probable est déjà une souffrance ; mais d’abord Vibrac ne se trompait-il pas ? Ce médecin de campagne, avec son assurance méridionale, se donnait peut-être des airs d’homme savant. Peut-être même avait-il menti. Ses reproches amers semblaient trahir une intention méchante. Avant de le croire et de se résigner, il fallait consulter d’autres médecins plus savans que lui. George se rendit à Paris. Lorsqu’il présenta son petit caillou au célèbre Trousseau, l’œil sagace de ce grand praticien reconnut tout de suite l’objet soumis à son examen. — Il n’y a pas à s’y tromper, dit le docteur. Ceci est un calcul, ou autrement une pierre biliaire. Comme on ne pratique guère à présent l’opération de la taille et que la lithotritie détruit le calcul, il faut, pour que cette pierre soit venue jusque dans vos mains, qu’on l’ait obtenue par l’autopsie d’une personne morte, de votre père peut-être ?

— En effet, répondit George en rougissant.

— Cela est fâcheux pour vous. Ne laissez pas au germe d’une maladie héréditaire le temps de se développer. Je vais vous indiquer