5 septembre. — Je n’avais pas vu de vrais bois depuis un an, et il y en aura bientôt dix-huit que je n’ai visité ceux-ci. À la descente du chemin de fer, quand, les oreilles encore toutes résonnantes des mille bruits parisiens, je me suis trouvé en pleine solitude sylvestre, j’ai ressenti une brusque commotion, et le vieux forestier qui sommeillait en moi s’est soudain réveillé.
On redevient sauvage à l’odeur des forêts,
a dit un poète contemporain[1]. Cette maxime paraîtra peut-être
contestable à ceux dont le courant tumultueux des grandes villes a
bercé l’enfance et agité la jeunesse, mais elle est rigoureusement
vraie pour quiconque a été élevé au milieu des forêts. Ce qui nous
prend et nous charme, nous autres boisiers, ce n’est pas seulement
l’originale beauté de ces nappes de verdure ondulant de colline en
colline ; ce n’est pas la fière tournure des chênes centenaires, ni la
limpidité des eaux ruisselantes, ni le calme des futaies profondes ;
non, c’est par-dessus tout la volupté des sensations d’autrefois, ressaisies tout à coup et goûtées à nouveau. L’odeur sauvage, particulière aux bois, la trouvaille d’un bouquet d’alizés pendant encore à
la branche, ou d’une fleur perdue de vue depuis des années, le son
de certains bruits jadis familiers : la rumeur d’une cognée dans les
coupes lointaines ou les clochettes d’un troupeau vaguant dans une
clairière, — toutes ces choses agissent comme des charmes pour évoquer les esprits élémentaires qui dorment au fond de l’homme cultivé. Alors l’habit de théâtre que nous revêtons pour jouer notre rôle
- ↑ Sully Prudhomme, Stances et Poèmes.