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habiletés, des ruses même, qui ne lui donne un petit air païen des plus curieux. Le propre de la mythologie est en effet de personnifier l’inanimé et de dramatiser la vie inconsciente. Par quel singulier remous de l’esprit cette philosophie désolante et désespérée a-t-elle jeté des racines et se propage-t-elle de préférence au sein de cette Allemagne qui s’est révélée de nos jours si jeune et si ardente ? L’Allemagne serait-elle destinée à fournir parmi les nations un type analogue à celui de ces hommes arrivés tard à la maturité et qui passent brusquement des illusions de la jeunesse à un désenchantement précoce ? L’avenir nous le dira ; mais, toute question de rivalité nationale mise de côté, cela n’est pas à désirer pour la civilisation en général. Les nations bouddhistes ou qui le deviennent tournent régulièrement à l’état de non-valeurs. Rien sans doute ne nous autorise à prévoir que le système de l’inconscient se propage au point d’endormir une nation tout entière dans ses vapeurs énervantes. Il n’en demeure pas moins certain que son influence, partout où elle pénétrera, ne pourra jamais être que malsaine. Il ne faut dégoûter personne de la vie, il vaut bien mieux nous encourager tous à vivre et à bien vivre. Au lieu de diviser l’histoire en périodes de désespérances emboîtées les unes dans les autres, il serait plus vrai de dire que l’homme, à mesure qu’il a grandi, a vu ses horizons s’élargir. Il y a du bonheur sur la terre, très insuffisant, nous l’accordons sans peine, mais il y en a, et nous estimons qu’en soi cette insuffisance est une révélation précieuse. Si l’homme était pleinement heureux de sa vie terrestre, cela signifierait qu’il est fait absolument et exclusivement pour elle, comme le bœuf pour son herbage ou l’huitre pour son rocher. C’est à cause de cette insuffisance même qu’il est en droit, quelque mystérieuse que soit cette espérance, d’aspirer à quelque chose de supérieur à sa destinée actuelle. Il est aussi licite que facile, tout en nourrissant cette immense espérance qui


Malgré nous vers le ciel nous fait lever les yeux,


de travailler à écarter de soi et de la postérité les causes actuelles de souffrance. C’est à quoi l’on parvient graduellement par l’intensité croissante de la vie individuelle et sociale. Ne renonçons à aucun espoir, ni sur la terre, ni au ciel. Au nom et en l’autorité de la conscience humaine, nous affirmons le Dieu vivant. Le mot d’ordre de la philosophie de l’inconscient est : Mort à la vie ! Le nôtre sera toujours : Vive la vie !


ALBERT REVILLE.