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vont peut-être se récrier à ce jugement ; je ne sais pas si lui-même en sera très surpris. La clarté, le serré du raisonnement, qui caractérisaient son enquête philosophique, lui font défaut pour ne revenir qu’à la fin, avec ses appréciations pessimistes de la vie humaine. Quelque chose de pénible et d’hésitant a remplacé la désinvolture première. Jusqu’alors nous n’avions reconnu en lui l’Allemand qu’à son grand savoir, à ses prodigieuses lectures, et ce n’est certes pas un reproche que nous lui adressons ici ; mais à présent sa pensée va s’enfoncer et disparaître trop souvent dans une phraséologie qui a l’air de contenir beaucoup, et qui parle longuement, obscurément, pour ne pas dire grand’chose.

S’appuyant sur les observations que nous avons résumées, l’auteur postule pour son suprême inconscient un certain nombre d’attributs ou ce que nous appellerions des perfections. Son inconscient est infatigable, inaltérable, suprasensible, car le propre des idées conscientes est de revêtir les formes sensibles. L’inconscient n’hésite ni ne doute, il est supérieur au temps et à l’espace, qu’il concentre dans son intuition immédiate ; il est infaillible, et il unit en lui-même dans une indissoluble unité la volonté et l’idée. À la rigueur, tout cela pourrait passer, mais nous attendions notre philosophe aux questions concrètes, à celles qu’il ne suffit pas de discuter avec beaucoup d’esprit, et qui exigent des réponses catégoriques. Nous étions surtout curieux de savoir comment il expliquait le fait lui-même de la conscience, et comment il parvenait à maintenir le caractère inconscient de la volonté créatrice, après lui avoir attribué tant d’intention, d’habileté, de prévoyance et même de ruse. Notre déception a été grande.

Nous devons le reconnaître, jusqu’à présent aucune doctrine philosophique n’a pu nous expliquer le fait proprement dit de la conscience. Être, c’est déjà merveilleux ; savoir qu’on est et savoir qu’on le sait, c’est bien plus merveilleux encore. Les matérialistes nous permettront de leur dire que leur explication n’est qu’une mauvaise plaisanterie. Qu’on me répète tant qu’on voudra que la pensée et la conscience sont inséparables du cerveau et des vibrations cérébrales, cela ne m’explique pas le moins du monde comment il se fait que ce cerveau vibrant produit des pensées dont l’être pensant a conscience. Il faudrait en finir avec cet escamotage de la vraie question. Les spiritualistes, je le sais fort bien, ne savent pas mieux donner la clé de ce phénomène des phénomènes ; mais ils ont sur leurs adversaires un immense avantage. Plaçant au centre même des choses une conscience éternelle, il ne leur est pas difficile de montrer dans la conscience humaine un fait dérivé, puisant son origine et sa raison dernière dans la cause première ; mais, si l’on pose