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naissance et avant que le nouveau-né ait pu mettre ces organes en exercice, que rien absolument dans la consistance de l’œuf fécondé et des liquides que lui fournit la mère ne peut expliquer la formation régulière et le concours harmonique de ces conditions de la vue, — on trouvera par le calcul des probabilités, en représentant la certitude entière par 1, que la vraisemblance d’une force directrice du développement mécanico-chimique de l’œil est égale à 0,9999985, et ce qui distingue une pareille vraisemblance de la certitude mathématique se réduit à une différence tellement inappréciable qu’on est en droit de la négliger. La téléologie bien comprise ne dispense nullement de l’explication physique des faits naturels ; mais, comme l’avait déjà dit Schopenhauer, l’erreur des matérialistes n’est pas de prétendre que tous les phénomènes, ceux même de l’esprit, sont physiques, elle est de ne pas voir que tout fait physique est en même temps métaphysique.

Armés de cette notion démonstrative de la finalité, nous pouvons en toute sécurité rechercher les manifestations de la volonté inconsciente qui nous révèlent son existence et son activité.

Au premier abord, on serait tenté de croire que la volonté ne saurait exister indépendamment d’un cerveau dont elle soit la fonction ; c’est une erreur que les faits, plus soigneusement observés, démentent. Ainsi une grenouille décapitée, après être restée quelque temps immobile, fait encore des mouvemens natatoires ou des sauts, et ce ne sont pas là de simples mouvemens réflexes provenant de l’excitation des nerfs coupés et exposés à l’air, car elle varie ses mouvemens selon les objets placés devant elle, elle cherche à les tourner ou à se cacher sous un meuble. Ailleurs un insecte coupé en deux au moment de la copulation mangera encore par sa partie antérieure, tandis que son autre moitié continue l’opération génératrice. On voit des sauterelles mâles décapitées rechercher la femelle pendant plusieurs jours encore. Souvent les deux moitiés d’un perce-oreille ou d’une fourmi australienne, après qu’on les a séparées par une incision, se battent avec fureur jusqu’à extinction. Tous ces mouvemens proviennent évidemment de volontés. Il faut donc admettre que la volonté peut se manifester sans cerveau, que des ganglions ou centres nerveux peuvent suffire pour qu’elle agisse. En fait, la physiologie comparée nous apprend que le cerveau n’est qu’une réunion de ganglions, la moelle épinière une série de nœuds ganglionnaires. C’est ainsi que chez les insectes à métamorphose des ganglions, séparés chez la larve, se réunissent pour former le cerveau dans l’état supérieur ; mais il y a plus encore : nous constatons de la volonté chez des êtres où le microscope n’a pu rien découvrir qui ressemble à la moindre fibre nerveuse. Si l’on met un polype