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recherchait que celle des vieillards. Promu officier en 1860, il fut l’année d’après victime d’un accident, blessé au genou et estropié au point qu’en 1865 il dut quitter le service. Cette infirmité alla même en s’aggravant, et, si je suis bien informé, elle le confina dans sa chambre, si ce n’est dans son lit. Il eut du moins la consolation de pouvoir désormais se vouer tout entier aux études philosophiques qu’il avait cultivées en amateur pendant ses loisirs de garnison. Ses travaux furent même assez remarqués pour que l’université de Rostock lui décernât en 1869 le titre de docteur. Il s’occupa aussi des questions d’art dramatique. Sous ses prénoms de Karl-Robert, il publia en 1870 des Aphorismen über dus Drama, en 1871 des dramatische Dichtungen (poésies dramatiques), savoir deux tragédies intitulées, l’une Tristan et Iseult, l’autre David et Bethsabée. On nous assure que ce dernier sujet, quelque peu scabreux, est traité avec noblesse, et nous ne demandons pas mieux que de le croire, bien que la noblesse du style et des idées ne soit pas précisément la qualité-maîtresse des œuvres philosophiques de l’auteur. C’est plutôt par ses allures cavalières, par un certain sans-gêne qui ne recule pas devant l’expression crue, que l’ex-officier d’artillerie s’est fait une manière littéraire qui lui appartient en propre, et qui, en tout cas, lui a réussi. Le bon goût en matière d’œuvre scientifique étant encore rare en Allemagne, cette façon de philosopher « à la hussarde » ne lui a fait aucun tort auprès du grand public, qu’il a su intéresser aux questions abstraites ; il l’amuse tout en causant métaphysique et morale. Nous sommes désormais à cent lieues de Hegel et de ses hiéroglyphes. Cette philosophie est d’un pessimisme effrayant dans ses conclusions, mais nous n’en connaissons pas dont les détails dénotent plus de bonne humeur. Le mot pour rire n’est pas rare, et la remarque humoristique abonde. Est-ce une qualité ou un défaut, et ce manteau pailleté est-il bien le vêtement qui convient à la muse sévère de la philosophie ? Nous ne voulons pas nous prononcer d’avance. Non moins spirituel et caustique, mais plus brillant que son maître Schopenhauer, M. von Hartmann aspire comme lui à la célébrité, et, plus heureux que lui, il l’a de bonne heure obtenue. On peut affirmer que la préoccupation de l’effet à produire sur un public aisément rebuté par les discussions de l’ordre métaphysique n’a pas été sans influer fortement sur sa manière de les traiter. Le portrait joint à la dernière édition de son ouvrage nous offre une belle tête, d’un type plus anglais qu’allemand, aux traits réguliers et fermes, et qui serait tout à fait sympathique, si ce n’était qu’à notre gré elle est décidément trop barbue, et surtout qu’on se demande avec un grain d’inquiétude s’il n’y a pas de la pose