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qu’il nous importe à tous de vous y retenir par des relations faciles et aimables, et qu’il serait malséant de vous rebuter dans votre première inclination. Elle m’a répondu en riant qu’elle consentirait donc à vous écouter pour faire preuve de vertus hospitalières. Voici maintenant à quelles conditions : on ne pourra vous consacrer qu’un jour par semaine, un jour entier, de vingt-quatre heures. Le reste de la semaine appartient à un heureux titulaire qui ne céderait rien de ses privilèges. On saura lui faire accepter cet accommodement. Votre tour de faveur ne vous coûtera que cinq cents francs par semaine ; mais on vous demande des diamans pour une somme de douze mille francs environ, c’est ce qu’on appelle en affaires une épingle. Du reste, on n’exige pas de vous le secret. S’il vous plaît d’orner votre voiture d’une jolie femme, on vous accompagnera le matin au bois de Boulogne, le soir au théâtre ; votre possession sera donc bien et dûment établie. Réfléchissez et voyez si cela vous convient.

— Mes réflexions sont faites ; cela ne me convient pas.

— Mon cher comte, si vous cherchez le placement de votre cœur dans les prix doux, comme dit le commerce, il ne faut pas vous adresser à des femmes que la mode met à l’enchère.

— Laissons la question d’argent, répondit George. Ce que je n’accepte pas, c’est le partage avec cet heureux titulaire dont le cœur se repose un jour par semaine. Si j’étais amoureux, cette condition suffirait à me dégriser.

— Mais puisque cet homme est six fois plus riche que vous, qu’avez-vous à dire ?

— Rien absolument, et c’est pourquoi je bats en retraite.

— Vous êtes un grand enfant. Il ne s’agit que de vous accoutumer à cette idée du partage. Vous en verrez bien d’autres quand vous connaîtrez mieux notre monde.

— Je commence à le connaître.

— Il faut être de son époque. Nous appelons cela savoir se mettre dans le mouvement.

— Eh bien ! je crois que jamais je n’y entrerai.

George comprit qu’il ne pouvait demeurer parmi cette bande de dissipateurs, à moins de se ruiner comme eux. Insensible aux plaisirs de la vanité, n’éprouvant pas le besoin d’afficher des succès achetés ni de promener une femme payée dans sa voiture, il chercha son plaisir ailleurs. Soit par une disposition naturelle, soit sous l’influence des premières impressions de son enfance, il sentit se développer son goût dominant pour les pierres précieuses. La belle industrie des bijoutiers de Paris et les merveilles étalées aux regards des passans l’y invitaient. Il se mit en relations d’affaires