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les meubles, l’argenterie, les toilettes des femmes. George s’étonna de voir les jeunes visages eux-mêmes grossièrement fardés. Il lui sembla qu’ils y gagnaient bien plus en effronterie qu’en beauté. La fièvre dépensière engendre la soif de l’argent. On ne parlait d’autre chose. Il ne servait à rien d’être jeune, beau, bien élevé, pas plus que d’avoir de l’esprit ou d’autres talens que celui de faire fortune. Les hommes se divisaient en deux classes seulement, les riches et les pauvres, par la raison que tout était à vendre.

George de Louvignac, ayant bonne envie de se conformer aux modes et usages nouveaux, se fit présenter dans un cercle d’hommes de son âge. Il va sans dire qu’on y jouait gros jeu. On lui montra un jeune garçon, à peine majeur, qui venait d’hériter de deux cent mille francs, que lui laissait un paient de province ; la nouvelle de cet héritage lui était arrivée la veille au matin, et le soir il avait perdu pareille somme au jeu. Cette aventure excitait la gaîté de tout le cercle, et le joueur dépouillé riait aussi haut que les autres. George se laissa mettre à une table de lansquenet. En moins d’une heure, il y perdit douze mille francs. Comme il trouva que c’était assez payer sa bienvenue, il ne voulut plus toucher aux cartes.

Le jeune homme qui lui servait de pilote le conduisit dans une réunion de beautés à la mode. Il y régnait une liberté de langage qui n’allait pas tout à fait jusqu’au mauvais ton. Celles de ces dames dont on se disputait les bonnes grâces n’étaient pas toujours les plus jolies, c’étaient plutôt celles qui, par leur savoir-faire ou leurs extravagances, avaient acquis un certain renom. La maîtresse de la maison singeait assez bien les manières des femmes du monde. Elle donnait à dîner tous les jours à deux ou trois jeunes gens qu’elle avait ruinés et même réduits aux expédiens. Dans cette société-là, les qualités de George, son esprit, son grand air, furent appréciés quand son introducteur l’eut annoncé comme un homme riche. Il adressa ses hommages à la personne la plus jeune parce qu’elle lui sembla moins recherchée que les autres. Au moment où il se retirait, son introducteur lui dit tout bas : — Je reste ici pour m’enquérir des préliminaires du traité de paix, et je vous en ferai part demain matin.

— Va-t-on aussi vite que cela ? demanda George.

— Sans doute. À quoi bon perdre le temps en simagrées ?

Le lendemain, le négociateur vint déjeuner avec George. — L’affaire dont je me suis chargé n’était pas des plus simples, dit-il. Vous vous tromperiez fort, si vous pensiez que cette jeune femme est délaissée ; c’est au contraire parce qu’elle a beaucoup d’occupations qu’on ne s’amuse pas à la pourchasser inutilement. Cependant je lui ai représenté que vous êtes nouveau-venu dans nos réunions,