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occasion propice une voix fît entendre les conseils suprêmes de la raison. Il lui vint un jour un renfort sur lequel il ne comptait plus depuis longtemps. C’était le 11 février 1791. Mirabeau présidait l’assemblée. On discutait un décret relatif aux finances ; Malouet, dont la place était près du bureau des secrétaires, à droite du président, demande la parole pour combattre le projet. Mirabeau se penche et lui dit assez haut pour être entendu de plusieurs personnes : « Laissez passer, nous y reviendrons. » Malouet aurait pu voir là un signe d’entente secrète, une sorte d’engagement à demi-mot ; mais il avait tellement perdu l’espoir de ramener jamais Mirabeau, qu’il ne craignit pas de l’irriter en lui rappelant une des scènes les plus fâcheuses de sa vie politique. « Sera-ce, lui dit-il, la répétition de l’affaire de M. de Castries ? »

L’affaire de M. de Castries, qui avait eu lieu deux mois auparavant, n’avait que trop justifié sa défiance. En deux mots, voici les faits : le 12 novembre 1790, le duc de Castries, fils du maréchal, dans un duel avec Charles de Lameth, l’avait blessé au bras. Le lendemain, l’hôtel de Castries est pillé par la populace, et le même jour, à la séance du soir, cette violence dénoncée à l’assemblée ayant trouvé des apologistes, Malouet s’élance à la tribune. Mirabeau s’y présente avec lui : « Je viens ici, dit-il, pour parler dans le même sens que vous ; je suis indigné. Vous savez qu’on m’écoute avec plus de faveur, cédez-moi votre place. » Pendant ce dialogue, que couvre le tumulte, la droite s’imagine que Mirabeau veut étouffer la voix de Malouet ; des cris violens éclatent contre lui : « À bas ! à bas le scélérat ! » Mirabeau, à qui Malouet vient de céder la parole sur sa promesse formelle de flétrir les pillards, entre aussitôt dans une colère rouge. Il apostrophe la droite, l’accuse elle-même de sédition, et, glissant légèrement sur le pillage de l’hôtel de Castries, demande et obtient l’ordre du jour. Malouet était resté à la tribune. Quand Mirabeau eut fini de parler, il lui reprocha vivement son manque de foi. « Vous avez raison, lui répondit le fougueux orateur, j’en suis honteux, mais prenez-vous-en à vos amis, vous venez de les entendre. »

On comprend que Malouet, invité par Mirabeau le 11 février 1791 à lui réserver le soin de défendre certaine cause, lui ait rappelé durement la scène du 13 novembre 1790 ; mais, chose bien significative, Mirabeau ne s’en fâche pas. « Non, non, dit-il à voix plus haute, je vous le promets, » et il se remet à écrire sans manifester la moindre émotion. Quelques instans après, un huissier apportait à Malouet un billet du président ainsi conçu : « Il y a longtemps que je suis de votre avis plus que vous ne le pensez, je veux enfin vous le prouver. Avez-vous quelque objection contre une conférence que je