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qu’il réussisse, mais je l’espère peu. » Tels furent les adieux de l’abbé Raynal et de Malouet à la veille de la terrible crise. Trois ans plus tard, Malouet, membre de l’assemblée constituante, faisait lire à la tribune la fameuse protestation de son ami contre les actes de l’assemblée ; nous aurons à rappeler tout à l’heure cette dramatique séance.


II.

Les dispositions que Malouet apportait aux états-généraux peuvent se résumer en ces termes : aversion profonde pour l’ancien régime, attachement inébranlable à la monarchie. C’était la passion de la justice dans un esprit sensé, pratique, clairvoyant, en garde contre toute illusion. Il avait combattu à Marseille les noirs pressentimens de Raynal ; dès son arrivée à Paris, l’effervescence publique, le trouble des idées, les fureurs aveugles mêlées aux aspirations généreuses, lui inspirèrent une véritable terreur. La cause qu’il avait embrassée de toute son âme n’exigeait pas seulement une haute sagesse politique, elle demandait les vertus les plus rares, abnégation, patriotisme, sacrifice de ses intérêts propres à l’intérêt commun, et, chose plus difficile encore peut-être, sacrifice de ses idées personnelles aux nécessités de la situation. Or que trouvait-il partout au lieu de cet esprit de prudence et de ces inspirations de vertu ? Des âmes en délire, les meilleurs sentimens pervertis par l’ignorance, la fièvre de l’esprit public entretenue et exaspérée par l’insolence des privilégiés, nul moyen de rester calme, nul espoir de concilier les classes et de constituer enfin une nation maîtresse d’elle-même. Dans le sentiment de son impuissance, Malouet fut tenté de donner sa démission. Il résista par devoir à ces pensées de découragement. Résigné d’avance aux injures de tous les partis, il résolut d’accomplir sa tâche de chaque heure, de travailler sans relâche à calmer les passions, à éclairer les esprits, à poursuivre l’œuvre des Turgot, des Malesherbes, à transformer la vieille monarchie sans la détruire, à fonder la vraie liberté politique. De 89 à 92, voilà le résumé de sa vie ; Malouet n’a quitté son poste que le jour où tout s’est écroulé.

Puisque nous n’avons pas le loisir de suivre Malouet dans le détail de ses discussions et de ses votes, nous voulons du moins emprunter à ses mémoires les faits les plus caractéristiques. En voici un qui ne manque pas d’intérêt ; il s’agit de la question si controversée des rapports de Mirabeau avec le gouvernement. Est-ce le ministère qui a essayé d’abord d’attirer à lui Mirabeau ? Est-ce Mirabeau qui dès 89, effrayé du péril de la France, a offert de se concerter avec le ministère pour défendre la monarchie ? Nous laissons de côté la grossière légende démocratique d’un Mirabeau traître à