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force, bien plus de sens, que la scène ne pouvait le comporter, et je crois entendre la malheureuse reine signaler ce grand citoyen, non pas au dauphin seulement, mais à la France de l’avenir.


I.

Malouet venait d’atteindre sa cinquantième année quand la révolution, l’arrachant au demi-jour d’une vie d’études, le jeta sur la scène politique. Ayant beaucoup vu, beaucoup médité, il y apporta dès le premier jour des opinions très fermes qu’il n’eut pas besoin de modifier par la suite. C’est chose rare qu’une telle rectitude au milieu d’une crise qui bouleversait le monde ; l’exemple en est peut-être unique. L’impression que donnera la vie entière de Malouet se révèle au début même de ses confidences. Ne cherchez dans le récit de sa jeunesse aucun de ces traits de nature, de ces accens personnels, qui mettent en relief une physionomie et font le charme des mémoires. Il n’y a là ni sentiment d’art, ni talent particulier d’écrire ; mais quelle conscience à la fois solide et ingénue ! Sa modestie n’a rien d’affecté ; c’est le ton d’un homme qui, sachant bien ce qu’il vaut, se préoccupe avant tout du vrai, du juste, et l’exprime le plus naturellement du monde. On est séduit tout d’abord par cette candeur lorsqu’il raconte ses premières années, et si l’on regrette en ce tableau des couleurs plus vives, on est heureux de penser qu’une si complète absence de prétention promet la fidélité la plus scrupuleuse quand il parlera enfin des choses de 89. Témoin et acteur dans cette grande histoire, Malouet a droit à la confiance de tous.

Ce n’est pas à dire que ces Mémoires, même dans la partie consacrée aux trente années qui précèdent la révolution, soient dépourvus d’intérêt. Je ne conseillerais à personne d’aller droit au neuvième chapitre, intitulé les Cahiers, sans s’arrêter aux études, aux voyages, aux services diplomatiques et administratifs de cet excellent homme. C’est toute une image d’une bonne partie du XVIIIe siècle. On y voit combien cette société, où tant de choses tombaient en ruines, conservait encore de saines traditions et de vertus patriotiques. Né dans une condition médiocre, issu d’une modeste famille de magistrats de province, Pierre-Victor Malouet ne dut qu’à son mérite propre, à sa conscience, à son application infatigable, l’honneur d’être envoyé plus tard aux états-généraux par l’unanime suffrage de ses concitoyens. Il vit le jour à Riom le 11 février 1740. Après des études bien insuffisantes au collège de sa ville natale, il fut appelé à Juilly par son oncle Pierre-Antoine Malouet, oratorien de grand mérite, qui professait la philosophie dans la maison de Malebranche. C’est ce même oncle qui, peu d’années après, le voyant tout occupé de vers, de tragédies, de comédies, et