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n’est et ne sera jamais qu’un gosier. Elle a le geste étroit, saccadé, incorrect, la physionomie ondoyante et diverse, marche mal, et c’est toujours le même personnage de keepsake qu’elle interprète, mais aussi quels trilles et quels points d’orgue quand arrive le quart d’heure de la virtuosité ! Dans l’Étoile du Nord, la flûte concertait avec la voix de femme ; dans le Pardon de Ploërmel, nous avons la cornemuse, ou, pour mieux dire, la clarinette contrefaisant la cornemuse, et cet assaut puéril se prolonge indéfiniment : roulades sur roulades, échos sur échos, la clarinette dans l’orchestre propose ses passages les plus brillans, et la cantatrice répond sur la scène à cette agacerie par les plus extravagantes vocalises. Que de cadences, de staccatti, d’arabesques, de fioritures, et penser qu’un si grand maître se donne ainsi pour tâche d’enfiler des perles ! Mme Cabel, qui florissait en 1859 à l’Opéra-Comique, appartenait à cette famille d’oiseaux rares, et Meyerbeer, le plus curieux des hommes de génie, se laissa prendre à la tentation d’écrire pour ses gazouillemens. Ce fut elle qui créa le Pardon de Ploërmel, et de toutes les Dinorah que j’ai connues, elle était la meilleure. Seule, Mme Cabel posséda la leçon du maître, qui l’avait assidûment dressée, stylée et serinée. Nulle n’a dit comme elle la berceuse de l’introduction et la célèbre valse de l’Ombre ; et puis ces afféteries musicales étaient dans sa nature même ; elle jouait le personnage, ce que négligent trop de faire la plupart de ces cantatrices voyageuses habituées à ne vous débiter que leurs éternelles ritournelles de concert. Après de si fameux exemples, c’est un nom bien modeste à citer que celui de Mlle Zina Dalti, la Dinorah de l’heure actuelle, Mlle Dalti débutait il y a quelques années dans un mauvais ouvrage de M. Jules Cohen, intitulé Déa, et qui ne tarda point à disparaître de l’affiche, la jeune cantatrice fit de même. Elle nous revient toujours jolie, mais avec une voix mal posée et chevrotante ; le timbre a de l’éclat, une certaine crânerie, et le public applaudit de confiance à toute sorte de tours de force qu’il croit réussis, car toutes les vocalises se ressemblent ; entre les bonnes et les mauvaises, il n’existe que des différences dont la foule est incapable de se rendre compte, et presque toujours c’est l’audace qu’elle récompense, A la figure légèrement tragique et poussée au noir de l’amant de Dinorah, Meyerbeer a voulu opposer celle de Corentin, le Raimbault de cette espèce de Robert le Diable villageois. Les lazzis du joueur de cornemuse, sans être bien nouveaux, amusaient assez la galerie grâce à la verve comique de M. Sainte-Foy, auquel succède à présent M. Lhérie. Le rôle a perdu et gagné au change. Dramatiquement c’est peut-être moins drôle, mais dans l’ensemble musical cette voix d’un ténor accoutumé à se prendre au sérieux me paraît mieux convenir. On évite ainsi d’ailleurs les distractions inopportunes. Ce rôle de Corentin, quand c’était M. Sainte-Foy qui le jouait, vous rappelait à chaque instant le fermier