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Au lieu de ménager, de cultiver un répertoire qui forme, avec celui de la Comédie-Française, le plus beau terrain d’exploitation qu’un directeur puisse rêver, il l’a gaspillé, ravagé, portant toutes ses préférences sur des œuvres conçues dans le style du grand opéra. Monter Roméo et Juliette, reprendre le Pardon de Ploërmel, il n’y avait rien en cela que d’excellent, rien même qui ne fût dans les traditions d’une scène où la Médée et les Deux Journées de Cherubini, le Joseph de Méhul, alternaient jadis avec le Calife de Bagdad, Maison à vendre et l’Irato. Ce que je blâme, c’est le système ; il fallait élargir sans exclure. Qui pourrait en vouloir à M. Du Locle d’aimer la grande musique ? S’il nous a été donné d’entendre à Paris la messe de Verdi, c’est à son goût et à son initiative d’artiste que nous le devons. On n’en regrette que davantage de voir chez lui l’artiste, le dilettante, pousser ainsi le directeur vers une fausse voie. Cette reprise du Pardon de Ploërmel me fait l’effet d’être encore œuvre d’amateur, et j’estime que le théâtre en retirera plus d’honneur que d’argent. L’exécution va son train jusqu’au bout sans trop d’éclat, mais sans encombre. Les chœurs marchent droit et juste, l’ouverture est vaillamment rendue, on sent là l’étude et le soin, c’est compris, nuancé, fixé. L’hymne religieux, revenant sur les dernières mesures, en toute puissance et résonnance, enflé et suivi de l’appel des cuivres en fanfare, produit l’effet d’une explosion. Beethoven a certainement composé de plus belles ouvertures, mais comme tableau symphonique, comme page sui generis, cette préface du Pardon de Ploërmel reste un chef-d’œuvre à part. Le personnage d’Hoël, que représentait jadis M. Faure, a pour interprète aujourd’hui M. Bouhy. Autant dire que rien n’est changé, car deux chanteurs ne sauraient se ressembler davantage, c’est la même période abondante et phraseuse, la même voix lymphatique et se prêtant plus volontiers au spianato qu’à l’inflexion dramatique. Aussi devait-on peu compter sur lui pour l’air du premier acte qui réclame une grande bravoure d’organe et d’accent. M. Faure, si l’on s’en souvient, n’y brilla jamais que d’un lustre assez mince, portant tous ses efforts sur le délicieux cantabile et négligeant les beautés vibrantes auxquelles il ne pouvait atteindre. En revanche. M. Bouhy excelle à rendre la romance du troisième acte, qu’il dit avec une expression pleine de charme et de pathétique. Cette romance, merveille de mélodieux et tendre épanchement, nous l’avons en quelque sorte vue naître sous nos yeux ; il s’agissait d’en remplacer une autre qui n’avait point su plaire au chanteur, et Meyerbeer, au feu de ses répétitions, l’écrivit comme il avait, nombre d’années auparavant, écrit en des circonstances semblables l’immortel duo de Valentine et de Raoul dans les Huguenots, également venu du soir au lendemain, d’inspiration et d’un seul jet.

Avez-vous entendu la Patti dans ce rôle de Dinorah ? Elle le joue en actrice médiocre et sans l’ombre d’intention caractéristique. La Patti