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jusqu’au printemps de 1796, époque à laquelle il reçut tout à coup l’ordre de tout abandonner. En présence des progrès de nos armées, conduites par le jeune Corse auquel les plus fameux généraux autrichiens n’étaient pas en état de résister, l’Angleterre devait pour le moment renoncer non-seulement à garder sa nouvelle conquête, mais à exercer son influence sur les événemens qui allaient se passer dans le nord de l’Italie. Rome n’est pas à sa portée ; à Naples, il y a encore quelques velléités de résistance. C’est donc de ce côté que se rallie la flotte anglaise sur laquelle dut s’embarquer sir Gilbert, qui, antérieurement et par prévoyance, avait, pour se ravitailler, fait occuper Porto-Ferraïo, dans l’île d’Elbe : « havre et port excellens, lui écrit lord Nelson, dont je me suis emparé en exécution de vos ordres. » Rassuré par ces précautions, dont on eut lieu de reconnaître l’utilité, sir Gilbert ne quittait pas la Corse sans un amer regret. Quant à la réputation qu’il y a laissée, voici comment s’exprime à ce sujet le commodore Nelson dans une lettre adressée au duc de Clarence : « Je ne puis rendre une justice trop éclatante à la bonne administration et aux sages mesures du vice-roi à l’égard des Corses. Il n’est pas un homme qui ne se soit séparé de lui sans pleurer. Ceux même qui s’étaient montrés le plus opposés à son gouvernement ne pouvaient qu’aimer et respecter un si noble caractère. »

L’histoire et le roman se sont entendus pour nous tracer le tableau de ces derniers jours de fausse tranquillité et de puérile assurance pendant lesquels la cour de Naples semblait prendre plaisir à s’endormir à l’approche de l’invasion menaçante des Français. Nous avons présente à la mémoire la physionomie de tous ces personnages bizarres : le roi, tout occupé de la chasse, aimant son peuple, favorisant l’industrie, bon homme au demeurant, mais dominé par la reine Caroline ; celle-ci, intelligente et courageuse, livrée tout entière à ses favoris, le ministre anglais Acton et lady Hamilton. On connaît la folle passion de Nelson pour cette belle parvenue, naguère modèle d’atelier, qui avait réussi à se faire épouser par un très grand seigneur, ambassadeur d’Angleterre, diplomate assez médiocre et mari débonnaire. Toute cette tragi-comédie est racontée avec des détails nouveaux dans les volumes qui sont sous nos yeux. Nous reproduisons seulement quelques-uns de ceux qui se rapportent à la personne la plus originale de ce groupe, nous voulons dire lady Hamilton.


« Elle est, écrit sir Gilbert, le plus étrange composé que j’aie jamais vu. Devenue d’une grosseur presque monstrueuse, qui augmente tous les jours, elle veut se persuader que cette ampleur est favorable à sa