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vécu en rupture ouverte, avait fait des avances notoires aux whigs, et ceux-ci, prévoyant une prochaine vacance du trône, trouvaient également profit à se rapprocher de l’héritier présomptif. Les Anglais, comme les fils de Noé, jettent volontiers un manteau sur les fautes de leurs princes, et cela suffit, indépendamment de l’esprit de parti ou des affections particulières, pour expliquer les respects dont ils se plaisent à les environner. Sir Gilbert Elliot, admis dans la confiance du prince de Galles, s’employa plusieurs fois à le réconcilier avec sa famille ; mais plus d’une condition humiliante était d’ordinaire mise à cette rentrée en grâce. Il y a des momens où sir Gilbert devient le conseiller du prince et lui sert de secrétaire. Il ressort des volumes que nous analysons en ce moment qu’il fut le véritable rédacteur de ces lettres importantes que tous les historiens ont à tort attribuées aux chefs de l’opposition. C’est à ce propos qu’il écrit à lady Minto :


« Il n’y a pas un mot du prince dans la lettre à Pitt : elle est toute de moi. Elle avait été originairement écrite par Burke, retouchée, mais non améliorée par Sheridan et les autres critiques. La réponse faite hier par le prince à l’adresse des deux chambres était aussi entièrement de moi ; elle a été écrite à la hâte, une heure avant d’être délivrée. »


Nous ne revendiquons pour sir Gilbert le triste honneur de s’être employé en faveur du prince de Galles qu’afin de rétablir la vérité des faits. Cette cause avait d’ailleurs des côtés intéressans pour un whig conservateur qui ne consentait pas à séparer les intérêts de son pays de ceux de la famille régnante. Plus tard, sir Gilbert reconnut qu’il avait trop présumé d’un prince dont il ne cessa pas d’admirer les qualités brillantes. C’est lui qui a prononcé ces paroles sévères : «si la démocratie pouvait s’établir en Angleterre, ce serait la famille royale qui en serait cause. » Une telle réflexion, arrachée à un sujet loyal comme sir Gilbert, ne saurait étonner ceux qui ont présentes à la mémoire les scènes qui se sont passées dans l’intérieur de cette famille désunie dont tous les membres avaient à se reprocher des torts si graves. Invité plus tard par l’infortunée et maladroite princesse de Galles à lui donner des conseils qu’elle se gardait bien de suivre, sir Gilbert nous fait dans une série de lettres datées de cette époque une foule de récits toujours curieux et souvent très comiques ; il peint parfaitement le caractère de cette femme dont la destinée a été aussi triste qu’étrange, et qui a trouvé moyen par sa folle conduite de détruire la sympathie qui se serait naturellement attachée à ses malheurs.

Dans l’hiver de 1790, après la dissolution de la chambre des communes, sir Gilbert, deux fois porté, mais sans succès, à la présidence,