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ces caractères font de la pièce entière une sorte de rhapsodie pleine d’invraisemblances et de puérilités, qui nous couvraient de honte en voyant que M. de Calonne et d’autres étrangers de distinction pouvaient juger Shakspeare et le génie de notre nation d’après un tel spécimen… Malgré cela, il y eut quelques momens où je pus admirer Kemble et me sentir ému. »


Ces plaisirs de l’esprit n’étaient pas les seuls que recherchait la bonne compagnie anglaise. Il y avait à cette époque des lieux de réunion à la mode, qui sont depuis tellement déchus de leur ancienne réputation, qu’il nous est difficile de n’être pas étonnés en apprenant que le beau monde se rendait journellement au Ranelagh, au Ridotto, au Vauxhall, même à Almack, où l’on jouait un jeu d’enfer avec un masque sur le visage pour cacher ses émotions. Qui ne se souvient des romans de miss Burney, dont les scènes les plus jolies se passent souvent dans quelques-unes de ces assemblées de plaisir ? Elle peignait d’après nature le lieu et les personnages. Peut-être, en cherchant bien, y reconnaîtrions-nous quelque part le portrait de sir Gilbert, qui a dû poser devant elle.


« Je suis allé hier au soir au bal masqué du Wauxhall avec les Palmerstons, les Bulverdens, miss Burney, Windham, Pelham, etc. J’y allais, comme toujours, à mon corps défendant ; mais je m’en trouvai très bien, et m’y amusai plus qu’il ne m’arrive d’ordinaire. Le local et la décoration en sont réellement magnifiques, et les arrangemens très bien ordonnés, — ni trop chaud, ni trop froid, — beaucoup de monde, sans foule cependant, à cause de la grandeur des pièces. Un excellent souper et une réunion de bons vivans, tempérée un peu par les gens comme il faut. Nulle querelle tout le temps que nous y fûmes, c’est- à-dire jusqu’à trois heures passées ; mais il faut dire que c’est alors que commence l’orgie du Wauxhall, et que les gens y deviennent très tendres et très tapageurs. »


On voit qu’il fallait s’amuser à tout prix ; c’était une des grandes préoccupations de la société de ce temps, assez semblable, sous ce rapport, à la nôtre, sauf les modifications de costumes et les noms propres. Sir Gilbert Elliot et d’autres que lui ne prenaient sans doute de ces plaisirs que la portion avouable, suivant en cela le courant de la mode sans se brouiller tout à fait avec les lois de la morale. Il ne faut donc pas trop s’étonner s’il soutient ouvertement à cette époque le plus compromis de ceux qui donnaient le ton à ce monde dissolu, nous voulons dire le prince de Galles. Repoussé non sans raison dans les rangs de l’opposition par le parti de la cour, qui lui était très hostile, le jeune prince, fidèle aux traditions de la maison de Hanovre, où le père et le fils ont généralement