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I.

Aujourd’hui que les rapports entre la France et la Grande-Bretagne sont si faciles et si fréquens, on a peine à comprendre que ce fût autrefois une chose assez rare que de voir des Anglais à Paris, surtout de jeunes Anglais envoyés pour y faire leur éducation, et, protestans, confiés aux soins d’un prêtre catholique. Gilbert et Hugh Elliot, le premier âgé de treize ans et l’autre de dix ans, furent, d’après la recommandation du célèbre David Hume, qui se chargeait de les surveiller, placés par leur père en 1764 chez l’abbé Choquart, directeur d’une pension militaire à Fontainebleau. C’est là qu’ils passèrent deux années à apprendre le français et à faire l’exercice à la prussienne. Ils s’y lièrent d’amitié avec quelques jeunes camarades appartenant à de nobles familles françaises, parmi lesquels il suffit de citer le comte de Lamarck, depuis prince d’Arenberg, et le futur tribun de l’assemblée nationale, le chevalier de Mirabeau, dont nous aurons occasion de parler plus tard à propos de ses relations en Angleterre avec la famille Elliot. En 1770, les deux frères firent une seconde apparition à Paris, où les salons de la meilleure compagnie s’ouvrirent pour eux, entre autres celui de Mme Du Deffand. C’était alors le complément nécessaire de l’éducation pour les jeunes gens de l’aristocratie anglaise, et les mieux doués tenaient à honneur d’y puiser ces notions de bon goût dont la société française gardait encore les dernières traces.

Retourné en Angleterre, Gilbert Elliot, à peine âgé de vingt-cinq ans, devint en peu de mois chef de la famille par la mort de son père, membre de la chambre des communes et l’heureux mari de miss Amyand, qu’il aimait depuis longtemps. Cette union apparaît, au cours de la longue correspondance échangée entre les deux époux, comme le type de celles qui font tant d’honneur aux mœurs de nos voisins et contribuent si fort à maintenir la vigueur de leur constitution sociale. Il n’est pas rare en Angleterre de voir une jeune fille, jusque-là indépendante et mondaine, accepter pleinement ses nouveaux devoirs et mettre désormais tout son bonheur dans la considération accordée à son mari et dans le soin qu’elle prend d’élever elle-même ses enfans. Lady Elliot étant obligée de faire de longs séjours en Écosse, au château de Minto, dans le Roxburghshire, sir Gilbert, appelé à Londres durant les sessions, se plaît à lui rendre compte chaque jour de ce qu’il a vu, fait ou entendu dire. Autour de ce correspondant si régulier et si soigneux se groupent encore les parens et les amis, qui échangent entre eux des lettres importantes ou légères, mais toutes si animées et si vivantes qu’on dirait que cette société distinguée n’est disparue que d’hier.