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encore à regarder comme douteuses ces dernières expériences[1]. Il continue à donner à l’œgilops blé de Fabre le nom d’œgilops speltœformis, à le considérer comme une espèce légitime, primordiale, aussi étrangère à l’œgilops ovata qu’au blé lui-même : en un mot, il met au-dessus de faits patens, indubitables, les déductions inflexibles d’une hypothèse a priori. C’est ainsi peut-être que procèdent les voyans, mais ce n’est pas assurément la méthode à laquelle les sciences doivent leurs progrès.

N’apportant dans ce débat aucune idée préconçue, nous exposons simplement les faits tels qu’ils sont, sans vouloir en tirer des argumens pour ou contre les deux théories rivales du transformisme et de l’immutabilité des espèces. Même avec la persistance absolue de caractères du blé œgilops, on n’aurait pas fait absolument du blé véritable, car le blé œgilops a le plus souvent l’épi cassant à son point d’attache sur le chaume, il ne répand pas ses graines à terre comme le fait le blé trop mûr, il se sème à peine de lui-même et demande l’intervention de l’homme pour se conserver, enfin on ne l’a pas comparé avec le prétendu blé sauvage, que notre naturaliste Olivier aurait trouvé vers 1787 dans les plaines incultes de la Perse, ni avec d’autres triticum signalés comme spontanés en d’autres parties de l’Asie. Aujourd’hui d’ailleurs que l’on connaît l’intervention du blé lui-même dans la production du blé œgilops, on ne saurait sans une pétition de principe chercher dans ce dernier l’origine du blé cultivé, puisque ce dernier aurait dû précéder son produit hybride.

Quoi qu’il en soit, et la question d’origine du blé mise à part, l’œgilops blé n’en reste pas moins un être des plus remarquables. Placé sur la limite indécise qui sépare l’espèce de la race, il semble ouvrir jour à des recherches pleines d’intérêt sur le rôle que l’hybridation a pu jouer dans la production des formes végétales soit dans la période actuelle, soit aux diverses phases de l’évolution du monde organique.

Il est temps de revenir au système de M. Jordan pris dans son ensemble, car la question des œgilops n’en est qu’un épisode important, mais accessoire. Il y a dans cette théorie deux points de vue, l’un pratique, l’autre doctrinal. Pratiquement, elle ne vise à rien moins qu’à remanier les espèces dites collectives ou linnéennes, à les fractionner en nuances nombreuses auxquelles on appliquerait le nom d’espèces, toutes les fois du moins que la ressemblance

  1. J’ai vu en juillet 1808 quelques-uns des sujets mis en expérience par M. Godron, et je puis garantir le soin avec lequel ces expériences ont été faites, dans le jardin botanique de Nancy, sous les yeux de M. Godron, par un de mes élèves, M. Ingelrest, jardinier de cet établissement.