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un hybride de premier sang et non comme une simple modification de l’œgilops, ainsi que l’avaient cru Esprit Fabre et Dunal, ou comme une véritable espèce, ainsi que l’avaient supposé ses premiers parrains ; mais ce résultat même laissait incomplète la solution du problème. Il fallait comprendre en effet comment la forme triticoïde, stérile comme tous les hybrides entre espèces, pouvait acquérir par la culture une taille, un port, des caractères, une fertilité, qui la rapprochaient singulièrement des fromens, en même temps que sa fixité relative par le semis, s’affermissant à chaque génération nouvelle, lui donnait toutes les apparences d’une véritable espèce.

Ici encore l’honneur de l’explication revient à M. Godron. Partant de l’idée que bien des hybrides végétaux, stériles par eux-mêmes à cause de l’imperfection de leurs étamines, conservent la faculté d’être fécondés par le pollen de l’un de leurs ascendans, M. Godron en 1857 féconda de nouveau la forme triticoïde de l’œgilops ovata par le pollen du même blé qui lui avait servi de père, et le produit obtenu en 1858 fut exactement le même prétendu blé que Fabre avait obtenu en 1839 des rares graines fertiles de son œgilops triticoïde spontané. Ainsi le blé œgilops de Fabre, comme M. Godron l’appelle, est un véritable quarteron, ayant dans sa constitution ¾ de l’influence paternelle (froment) et 1/4 seulement de l’influence maternelle (œgilops). Il n’est pas étonnant que ses caractères le rapprochent du blé plus encore que de l’œgilops, bien qu’on eût peut-être le droit de conclure avec M. Godron que les prétendus genres œgilops et triticum ne sont au fond que des nuances d’un même type générique. Quoi qu’il en soit de cette question subsidiaire, le fait important, capital, on peut le dire, c’est l’existence d’un tel hybride de second degré, qui depuis plus de trente ans s’est perpétué semblable à lui-même[1], prenant ainsi les caractères sinon d’une espèce, du moins d’une race à origine mixte, d’une race hybride que rien ne sépare des vraies espèces, sinon la possibilité éventuelle d’un retour brusque ou gradué vers l’un de ses parens primitifs. Cet accident d’atavisme et plus souvent encore l’extinction de l’hybride quarteron par stérilité malgré l’intervention répétée du pollen du blé, se sont produits après un petit nombre de générations, — cinq au plus, — toutes les fois que les fromens employés comme fécondateurs de l’œgilops ont été autres

  1. M. Durieu de Maisonneuve en cultive dans le jardin botanique de Bordeaux la trente-quatrième génération.