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paysans en mangent le grain rôti dans ses enveloppes mêmes, en mettant le feu aux barbes des épis mis en bouquets[1]. C’est justement de Sicile que le professeur Latapie, de Bordeaux, aurait rapporté un œgilops, dont les graines, semées pendant plusieurs années dans des pots qu’on ne perdait jamais de vue, ne tardèrent pas, écrit Bory de Saint-Vincent, à donner naissance à une plante plus élevée, d’un port tout différent, et qui, perdant ses caractères génériques, se transforma en blé.

Bien que cette idée de transmutation d’une graminée sauvage en froment fut renouvelée des Grecs, elle ne gagna pas grande faveur parmi les naturalistes modernes. Déjà réfutée par Lamarck en 1786, c’est-à-dire avant qu’il fût lui-même partisan de transmutations plus radicales, elle ne pouvait trouver un appui solide ni sur les assertions un peu superficielles de Bory de Saint-Vincent, ni sur les rêveries et les prétendues observations de Raspail, ni sur les expériences inédites d’un amateur, feu Timon David. La question entra dans une phase scientifique et précise lorsque parurent en 1853, sous les auspices du savant botaniste Félix Dunal, les observations d’un simple jardinier maraîcher qui, presque dépourvu de toute culture littéraire, avait trouvé dans un seul livre, la Flore française de A.-P. de Candolle, mais surtout dans une sagacité merveilleuse, dans une application d’esprit indomptable, les moyens de se faire botaniste, d’enrichir la flore de la France des plantes les plus rares qu’on y ait peut-être découvertes dans notre siècle et de débrouiller autant qu’on pouvait le faire avec une simple loupe les phénomènes cachés de la fécondation d’une cryptogame. Doué de cette sorte d’intuition qui fait Les inventeurs, Esprit Fabre, d’Agde, sans rien connaître des idées ou des travaux de ses devanciers, fut amené à produire par la voie expérimentale, au moyen de semis successifs, ce qu’il crut être une véritable métamorphose de l’œgilops en froment.

Le point de départ de ces semis fut une forme très singulière d’œgilops que le botaniste Requien, d’Avignon, découvrit dès 1824, et qu’une certaine ressemblance avec le froment lui fit baptiser œgilops triticoïdes. Retrouvant la même plante près d’Agde, Esprit Fabre fit le premier une remarque des plus curieuses et qui devait lui donner l’idée de considérer cette plante triticoïde comme un des termes de la transformation de l’œgilops ovata en blé. Il vit en effet cette forme à épi long et cylindrique naître d’une graine encore enfermée dans les glumes d’un épi d’œgilops qui, par d’autres graines également encloses dans ses glumes, donnait naissance à l’œgilops ovata. Il faut dire que l’épi de cet œgilops se détache

  1. Sestini, cité par de Theis, Glossaire de botanique.