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marquis. Faites comme moi ; soulagez votre cœur. Vous vous en trouverez bien.

— Non, mon ami ; cela ne servirait à rien. J’ai commis une faute, il est vrai ; mais j’en suis puni, et, quand le châtiment est commencé, la confession devient inutile.

Louvignac prit son chapeau et sortit.

— Monsieur le marquis, dit le peintre, vous avez été trop vite. Le criminel entrait de lui-même dans la voie des aveux lorsque vous l’en avez fait apercevoir, et il a ressaisi son secret qui allait lui échapper.

On devine que Louvignac fut le sujet de la conversation pendant le reste de la soirée. Le marquis l’avait connu enfant ; il nous donna quantité de détails sur la famille, la fortune, l’éducation, les débuts dans le monde, les voyages, les goûts et les mœurs de ce personnage. — Quant à son aventure, nous dit-il ensuite, quant à l’épisode mystérieux de sa vie qui lui rappelait tout à l’heure le crime d’Oreste, je l’ignore absolument ; mais je puis vous indiquer un homme qui en a été le témoin. C’est le vieux docteur Vibrac, médecin de la famille. Je le crois brouillé avec le comte, il parlera peut-être. Vibrac ne pratique plus ; souvent il fréquente le soir un petit café de la rue Jacob. Si vous avez autant de patience que de curiosité, faites-lui votre cour en jouant sa partie de domino, et vous arriverez à la découverte de la vérité. Hâtez-vous seulement, car le bonhomme est octogénaire, et il commence à radoter.

Le peintre et moi, nous suivîmes les conseils du marquis. Nous recherchâmes le vieux docteur en fréquentant le même café que lui, et après deux mois de relations assidues et force, parties de domino nous avions obtenu les derniers renseignemens nécessaires pour compléter la biographie du comte George de Louvignac.


II.

Comme le nom l’indique, la famille de Louvignac était du midi de la France. Elle y possédait de grands biens depuis trois siècles. Le comte Jean, père de George, commandait une compagnie de la garde royale lorsque la révolution de 1830 éclata. Le nouveau gouvernement lui offrit de rentrer au service ; mais il se tint pour engagé avec la branche aînée des Bourbons, et il se retira dans ses terres. Il habitait ordinairement son château de Breuilmont, situé sur un des affluens de la Garonne dans une vallée charmante. La communauté d’opinions politiques le rapprocha d’un certain nombre de gentilshommes campagnards. Il leur donna des dîners et leur ouvrit la chasse de son domaine. On voisinait jusqu’à la distance