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ces botanistes appartiennent, il est vrai, à la tendance dite multiplicatrice des espèces, mais tous sont observateurs soigneux, descripteurs exacts, nullement inféodés aux idées théologiques qui sont la racine cachée des raisonnemens de M. Jordan. Encore moins soupçonnerait-on de connivence pour cette sorte d’aveuglement involontaire des esprits aussi fermes, aussi pénétrans, aussi imbus de la vraie méthode scientifique que le sont MM. Thuret et Bornet, d’Antibes. Se délassant de leurs profondes et délicates recherches sur les cryptogames par le soin et l’étude d’un magnifique jardin, ces deux savans ont su de bonne heure demander à la nature vivante ce que les herbiers et les livres ne donnent pas, des notions précises sur l’évolution, la manière d’être, les mœurs, si l’on peut ainsi dire, de chaque plante. Quand M. Bornet voudra publier ses recherches sur l’hybridation des cistes, la science comptera un chef-d’œuvre de plus sur ce sujet du croisement des plantes, illustré par les travaux de Kölreuter, de C.-F. Gaertner et de Naudin. Au lieu de condamner, au nom des principes, la méthode jordanienne, ces botanistes ont choisi la manière la plus équitable de la juger, c’est de soumettre les prétendues nouvelles espèces au critérium de la culture. L’expérience sur bien des points a confirmé les assertions de M. Jordan. « Sept ans de suite, nous écrit M. le docteur Bornet, nous avons semé quatorze espèces d’erophila. Elles n’ont présenté ni variations ni hybrides, quoique les pots fussent rangés les uns près des autres. Pendant quatre ans, j’ai ressemé cinq ou six des formes du papaver dubium que M. Jordan a décrites[1]. Les caractères, principalement ceux de la capsule, se sont montrés les mêmes dans toutes les générations. Toutefois, dans cette série d’expériences, il s’est produit un certain nombre d’hybrides spontanés[2]

Admettons comme positivement acquis les faits qui précèdent, et portons-les sans hésiter au crédit de M. Jordan. Donnons-lui tout le mérite d’avoir érigé en méthode expérimentale régulière ce moyen d’appréciation de la valeur des caractères des plantes que les botanistes n’ignoraient pas sans doute, mais dont ils ne faisaient usage

  1. Sous les noms de papaver modestum, vagum, depressum, Lecoquii, etc.
  2. M. César Sarato, soigneux botaniste de Nice, nous écrit aussi M. Bornet, a fait des semis de diverses plantes affines, et il a constaté que certaines espèces jordaniennes comprennent elles-mêmes des espèces d’ordre inférieur parfaitement fixes et reconnaissables pour un œil exercé. Il faudra attendre la publication de ces expériences encore inédites, mais dès à présent on peut bien dire que ces démembremens d’espèces déjà démembrées, alors même qu’elles ont pour elles la fixité relative et la ressemblance entre individus, ne peuvent entrer dans la botanique systématique générale au même titre que les espèces larges actuelles (collectives ou linnéennes, comme les appelle M. Jordan).