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sous forme de monographies. Dans un tel travail, chaque botaniste a naturellement apporté les qualités et les défauts de son propre esprit, et comme, dans la définition de l’espèce, deux des termes, savoir la filiation et la fertilité des produits, sont des élémens biologiques sur lesquels la culture seulement pourrait fournir des renseignemens, il s’en est suivi que la plupart des espèces ont été fondées sur la ressemblance des individus, c’est-à-dire que l’arbitraire s’est librement exercé dans ces prétendues délimitations. De là tant de mauvaises espèces dont s’encombrent inutilement les catalogues, espèces fondées sur un échantillon desséché, souvent mutilé, incomplet, ne représentant, s’il s’agit d’un arbre ou d’un arbuste, qu’un brin de rameau, donnant de l’être entier l’idée que pourrait donner d’une statue la vue de la tête isolée du corps. Ces défauts dans la manière de définir et de décrire les plantes, tous les botanistes les avouent ; on cherche à les atténuer par l’étude sur le vif, et l’on peut dire qu’ils diminuent de jour en jour à mesure que les facilités d’étude et les meilleures méthodes d’observation tendent à se généraliser. Linné les exagéra au contraire, et fit positivement rétrograder la connaissance des formes végétales par des raisons multiples qu’il est juste de rappeler.

D’abord il habitait la Suède, une sorte d’ultima Thule par rapport aux autres régions de l’Europe. Ce séjour excentrique, sans l’isoler du monde des idées et des livres, lui ferma malheureusement le monde des plantes vivantes, à l’exception des flores relativement très pauvres du nord-ouest de notre continent. Débutant avec éclat dans la botanique par un voyage en Laponie, il prouva qu’il savait embrasser d’un coup d’œil tous les aspects de la nature vivante. La Flora lapponica, œuvre d’imagination et de verve juvénile en même temps que de science sérieuse, est comme la première floraison de ce sympathique génie. Ses premiers pas hors de la Suède furent ceux d’un athlète allant avec assurance à la conquête de la renommée. Jeune d’années, léger d’écus, riche d’espérances, l’amour dans le cœur, la tête brûlante d’idées, il traversa rapidement le nord-ouest de l’Allemagne et trouva sur le sol plat de la Hollande, dans les jardins du banquier Cliffort, une hospitalité généreuse en même temps que de vraies richesses en plantes exotiques vivantes et en livres de botanique. S’enfermant avec délices dans cette studieuse retraite, il en sortit avec deux œuvres de valeur très inégale : l’une, les Fundamenta botanica, mince opuscule qui renferme en quelques pages la préface admirable, le prélude de son œuvre de législateur botanique ; l’autre, l’Hortus cliffortianus, ouvrage de luxe où s’étalent tous ses défauts, la trop grande concision dans la caractéristique des espèces, une déplorable