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types primordiaux, c’est-à-dire juste l’antipode des idées d’évolution progressive, d’action continue des causes secondes, qui forment l’essence même du transformisme.

Appuyé sur des travaux sérieux, consciencieux et prolongés, un tel système est autre chose qu’une élucubration oiseuse. Il mérite à tous les égards qu’on le discute avec attention, qu’on tienne compte de ses argumens, qu’on l’apprécie avec équité. Le temps seul, juge suprême en ces matières controversées, consacrera de cette théorie, comme des autres, les parties vraiment viables ; mais la science dès à présent profite de ce qu’il y a d’évidemment utile et pratique dans un travail qui soumet au contrôle de l’expérimentation la valeur relative des caractères de plantes jusque-là souvent définies par quelques phrases simplement diagnostiques, c’est-à-dire ayant tout au plus la valeur d’un signalement de passeport. C’est par ce côté positif et digne d’éloges des travaux de M. Jordan qu’il nous paraît juste de commencer la discussion de son système. Pour cela, nous devons tracer un historique rapide des principales notions que les botanistes ont conçues de l’espèce.


I.

Les anciens, Théophraste en tête, n’ont eu sur l’espèce comme sur le genre que des idées vagues. Sans doute ils durent rapporter à la même espèce des individus qu’ils voyaient reliés les uns aux autres par le double lien de la ressemblance et de la filiation ; mais ils en restèrent sur ce point aux notions mal définies du vulgaire et des gens du monde. Pour les grands botanistes de la renaissance, ceux que Linné a si justement nommés patres, la connaissance des formes végétales fut une science très précise et très étendue ; mais l’idée ne leur vint pas de séparer nettement les formes principales permanentes constituant les vraies espèces des formes secondaires et souvent transitoires constituant les variétés. Richer de Belleval par exemple, l’illustre fondateur du jardin des plantes de Montpellier, sut, au commencement du XVIIe siècle, distinguer parmi les fritillaires d’Europe plusieurs espèces que Linné confondit plus tard sous le nom de fritillaria meleagris (fritillaire pintade) ; mais, si le vieil auteur devançait à cet égard les distinctions dues aux travaux de notre temps, il laissait le nom d’espèce aux fritillaires à fleurs doubles, qui n’étaient que des états monstrueux des espèces véritables. Tournefort lui-même, si versé qu’il fût dans la connaissance pratique des plantes, ne fit qu’entrevoir la distinction entre les espèces et les variétés. Linné, et c’est une de ses gloires, introduisit le premier l’ordre dans la manière de définir et de nommer