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ce temps-là, les partis du dehors, qui surveillent l’église établie avec malveillance, font leurs commentaires. Les croyans se disent que la confusion des doctrines ne peut propager que le scepticisme, les politiques demandent s’il est juste que l’état puise dans la bourse des Juifs et des dissidens de tout genre pour mettre un certain nombre d’ecclésiastiques en état de se disputer et de semer leurs agressives chimères dans le monde.

Toute théorie à part, je me demande moi-même ce qui arriverait, si le vieil établissement d’éducation nationale était mis en liquidation, et je ne crois pas que l’Angleterre aurait à s’en applaudir. Les dissidens à côté de l’église ont pu être un élément de progrès, un stimulant ; mais rien que des dissidences, rien que des instincts rivaux auxquels la prudence publique n’imposerait plus ni freins, ni devoirs mutuels, ni conditions à remplir, rien que des sectes allant chacune au bout de son penchant, organisant chacune des écoles pour y enseigner à son gré une morale à elle, — franchement, cela ne me semble pas le meilleur moyen de faire l’éducation politique des classes sans traditions, sans philosophie arrêtée, auxquelles l’Angleterre a confié son sort.


III.

Je sens que mes inquiétudes et surtout mes motifs d’inquiétude courent grand risque de ne pas être partagés, car à l’heure qu’il est, tandis que la politique pratique appartient aux passions, aux antagonismes effrénés, le libéralisme optimiste continue chez nous à régner dans les intelligences. — Exaspérées par les abus de pouvoir dont les églises et les états se sont rendus coupables, désespérées de voir toutes les doctrines tourner à la violence ou à la tyrannie, les minorités pensantes, qui ne partagent pas l’emportement des combattans, ne voient rien de mieux à faire pour remédier à tout mal que de mettre partout la liberté, en la proclamant comme la seule fin et le seul moyen de l’institution sociale des gouvernemens et de l’éducation. Ce n’est plus là le libéralisme confiant de l’Angleterre, c’est plutôt un scepticisme qui tourne au fouriérisme. Il part de l’idée qu’aucune opinion n’est la vérité, qu’il n’y a à se fier à rien, et l’espoir qu’il caresse est de rétablir la paix en amenant les hommes à reconnaître que toutes les doctrines ne valent pas mieux l’une que l’autre, et qu’il s’agit de faire résoudre les questions publiques à la majorité des voix par toutes les vérités relatives, c’est-à-dire par toutes les erreurs. Il y a beaucoup de désertions sans doute ; mais ceux qui abandonnent cette théorie-là ne la quittent que pour se rejeter vers les anciens systèmes d’autorité,