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confiant de l’Angleterre, par suite de sa répugnance croissante pour tout ce qui ressemble à un empiétement sur l’indépendance spirituelle des individus, par suite d’une disposition marquée à méconnaître l’utilité des confessions de foi, des pactes d’union, des organisations qui visent à prévenir l’antagonisme des croyances pour prévenir celui des volontés, par suite, dis-je, de ces dispositions, les laïques en ce moment tendent à traiter avec indifférence les querelles des théologiens, et la plus haute cour ecclésiastique, en acquittant les opinions extrêmes, les a proclamées légales, — ce qui revenait à leur donner droit de cité dans l’église, et à abroger virtuellement le statut, qu’elles violaient de la façon la plus patente.

C’est la vieille histoire éditée à nouveau. Quand les législations pénales, en attachant au meurtre un châtiment, ont fini par donner aux sociétés la sécurité, les sociétés s’imaginent que c’est le propre de l’homme d’avoir horreur du meurtre, et elles s’ingénient à trouver des raisons pour croire que le châtiment au contraire est la cause de la brutalité. Je ne sais pas ce qu’il adviendra de l’église anglicane. Le pays y tient encore beaucoup, et vient de faire une tentative pour y rétablir un peu d’ordre ; mais le désir qu’il peut avoir de la maintenir debout ne suffit pas pour la sauver. Le libéralisme contemporain continue sourdement son œuvre de négation et de dissolution à l’égard des liens moraux qui unissaient les esprits ; la répugnance pour la dictature d’une opinion sur les autres devient idée fixe et détermine seule les jugemens ; l’amour pour la justice conduit de plus en plus à restreindre et supprimer l’obligation en matière de foi ; la prudence enfin admet comme un dogme que les esprits s’entendent d’eux-mêmes, et quand ce ne sont pas les pouvoirs publics qui crient tout haut : Opinions libres, tout est licite, rien n’est responsable, — la masse des intelligences le dit tout bas. Au bout de tout cela, le vieil esprit national, qui se composait d’esprits particuliers unis par une circulation de croyances communes, s’émiette : le courant du jour ne va à rien moins qu’à y substituer un amas de doctrines indépendantes et simplement juxtaposées.

En attendant, les doctrines individuelles, qui se sentent la bride sur le cou, en profitent. Le droit de guerre privée et la lutte des oui et des non ont déjà détruit dans une large mesure l’esprit de corps de la vieille église. Plus libres de céder à leurs entraînemens, les partis opposés se causent l’un à l’autre plus de froissemens et supportent avec plus d’impatience le reste de gêne que leur occasionne le pacte fondamental. Aujourd’hui c’est le désir de dominer qui se fait libéral à son tour. Le sacerdotalisme s’habitue à l’idée du désétablissement, qui le délivrerait de l’opposition des latitudinaires et des évangéliques, et il pense que, s’il était dégagé de toute entrave, ce serait lui qui aurait la puissance de s’emparer des majorités. Pendant