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qu’elle a pratiquées avec succès sont en elles-mêmes ce qui ne peut manquer d’assurer à la fois l’ordre et le progrès, d’amener du même coup le développement des forces particulières et leur accord spontané.

Avec cet optimisme, l’Angleterre, sans trop s’en apercevoir, a viré de bord. Maintenant qu’elle est en possession des libertés politiques et civiles, son amour pour la liberté se tourne contre les doctrines et les influences morales qui provoquent des dissidences ; c’est le laisser-faire spirituel qui l’attire, et déjà elle a porté de graves atteintes à l’unité d’éducation qui l’a faite ce qu’elle est. Il reste à peine trace des tests et des règlemens qui ne donnaient accès qu’à la religion anglicane dans les universités. Aujourd’hui Oxford et Cambridge sont en bonne voie de se séculariser complètement, et par là de s’ouvrir simultanément au catholicisme et au positivisme, au ritualisme et à l’anti-ritualisme, aux disciples de Loyola et à ceux de Jean de Leyde, comme disait M. Fitzjames Stephen. D’un autre côté le même optimisme libéral a livré l’église nationale elle-même aux tendances les plus inconciliables : il y a si bien laissé pénétrer la discorde que les partis qui s’y entre-choquent s’habituent à l’idée de la désétablir.

Que l’on ne se lasse pas de me voir revenir encore à cette église anglicane qui, par sa constitution comme par ses vicissitudes, est certainement une des institutions les plus caractéristiques de l’Angleterre. Ailleurs nous voyons des organisations qui sont une volonté humaine réalisée ou une donnée du passé systématisée après coup ; mais à quelques lieues de la France, par suite de la proportion insolite dans laquelle le respect du passé s’allie chez nos voisins au sens pratique, nous avons encore un exemple frappant de ces purs et lents produits de l’histoire qui se forment comme par une série d’alluvions, qui représentent une première intention si souvent déjouée, si souvent amendée, que le résultat dernier est comme un démenti donné à tous les systèmes humains. Telle que le cerveau de Henry VIII l’avait conçue, l’église anglicane était un mécanisme monarchique destiné à soumettre les laïques au clergé et le clergé à la suprématie de la couronne ; mais depuis longtemps la machine monarchique est décapitée de son monarque. La royauté n’a plus la prétention d’être souveraine au spirituel ; le parlement ne songe pas plus à décréter des dogmes qu’à légiférer sur la coupe des habits. Pourtant le clergé, loin d’hériter des pouvoirs abandonnés par la couronne, a vu ses assemblées de plus en plus dépossédées de toute influence réelle ; par crainte que les prétentions et les exaltations cléricales ne portassent préjudice à l’indépendance des laïques et à la bonne harmonie du pays, la loi les a réduites à de simples conférences. D’ailleurs les laïques sont restés dans la position