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protégée contre sa tête. L’intelligence spéculative de l’Angleterre n’a jamais été large ; mais, grâce à son insouciance pour la logique, l’étroitesse des principes admis par son intelligence ne l’a pas beaucoup gênée. Sans crainte de se mettre en contradiction avec elle-même, elle a toujours su recevoir les leçons de l’expérience et tenir pour nécessaires toutes les choses contraires qu’elles lui indiquaient comme telles. Ajoutons encore à cela que dans son utilitarisme il y a un trait d’excellent augure : sous le nom d’utilité, ce qu’elle poursuit évidemment, ce n’est pas le plaisir de satisfaire ses désirs, c’est plutôt la connaissance des conditions indispensables de la prospérité publique, des lois économiques ou autres que nul désir ne saurait violer impunément.

Toujours est-il, — et je n’ai pas voulu dire autre chose, — que l’Angleterre en ce moment est dans une crise, et que, d’après son passé, on ne peut plus avec certitude prédire son avenir. Elle a eu la gloire, dans la phase qui finit, de créer le type du gouvernement représentatif ; mais maintenant les forces qui par leur libre accord lui avaient permis de vivre mieux qu’aucun autre peuple sous le régime de la liberté se séparent l’une de l’autre pour se contrecarrer, et ses institutions n’assurent plus dans ses conseils la prédominance de la sage raison qui jusqu’ici avait dirigé son développement. Aujourd’hui enfin son vieil organisme est ébranlé. L’Angleterre aussi figure au nombre des sociétés tiraillées par des élémens discordans, et il reste à savoir si, parmi les peuples qui ont ainsi à se reconstituer, c’est à elle que reviendra l’honneur de trouver une nouvelle constitution, une nouvelle loi d’ordre de nature à concilier les tendances opposées qui se dégagent de l’état moral de nos jours. À cet égard, les traditions de son passé et le génie même qui l’a rendue capable de ce qu’elle a fait ne sont pas sans m’inquiéter pour elle. En un mot, il y a au soleil couchant de son libéralisme un point noir qui peut annoncer des orages pour le lendemain.

J. MILSAND.