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sont des auxiliaires, et sachons en tirer parti. Puisque l’emploi de la force a prévalu et que nous devons renoncer à demander à la civilisation, lente dans son action, l’ouverture de l’Afrique et l’acquisition de ses richesses, entrons résolument dans une nouvelle voie, ne nous isolons pas, ne protestons pas en faveur de l’indépendance du pays, vain mot, ne fermons pas les yeux à l’évidence, et comprenons que, sous le couvert de cette indépendance, une organisation anglo-indienne menace de prendre la place qui nous est due. Les événemens sont prochains, il faut s’associer à une entreprise qui a pour but la régénération de l’Afrique par les Européens et non plus par les populations, qu’on ne tente pas d’éclairer.

Sans doute un rôle plus noble était réservé à l’influence européenne. Voici une contrée où, dans une certaine zone du moins. Je voyageur se fraie sa route avec pleine sécurité. Il trouve appui auprès des Arabes, dont il dénonce le trafic, empressement à le servir de la part des indigènes, qui le considèrent comme un être d’une race supérieure. Européen, il séjourne de longues années, comme l’illustre Livingstone, au milieu de peuplades qui le respectent, sans que le prestige de la nation et l’appareil de la puissance le protègent. Au contraire, il s’avance sans inquiétude dès qu’il n’inspire pas de crainte. Est-il explorateur, il fraie de nouvelles routes ; négociant, il suit les voies tracées par les caravanes. Sa mission est de découvrir et de civiliser. Combien la première de ces nobles tâches a été mieux remplie que la seconde ! C’est qu’on ne civilise qu’avec les bienfaits de la civilisation, et non par autorité ni même par persuasion.

L’initiative privée avait été mieux inspirée que la politique des gouvernemens. Des missions religieuses se sont établies à Zanzibar, et l’une d’elles, la mission catholique française, après de grands efforts, a réuni et converti près de cinq cents élèves, garçons et filles. Montrer aux Arabes ou aux indigènes les beautés du christianisme était malaisé ; on s’est attaché à faire juger des chrétiens par leurs œuvres. À Zanzibar, des ateliers sont installés : forgerons, menuisiers, charpentiers travaillent avec ardeur sous la direction des pères et des Frères du Saint-Esprit. Des ouvriers instruits et laborieux reçoivent les commandes, entreprennent les travaux les plus difficiles, qui nécessitaient naguère l’emploi d’ouvriers européens engagés à grands frais. De l’autre côté du chenal, à Bagamoyo, une véritable colonie agricole s’est fondée sur de vastes terrains donnés par le sultan. Les adultes sont occupés suivant leurs aptitudes ; parvenus à un certain âge, ils sont mariés et reçoivent avec la case attribuée au jeune ménage un champ à défricher. Là comme à la ville, l’établissement a formé ses corps de métiers, à qui il doit d’élégantes constructions, chalets, salles d’étude, réfectoires, que domine,