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constatait un accroissement constant dans les entrées annuelles des nègres à Zanzibar, partant on devait être assuré que l’exportation annuelle augmentait dans la même proportion. D’ailleurs la mesure ne pouvait être efficace aux regards de ceux qui sont au courant des opérations de la traite. S’il est vrai que les Arabes achètent au marché de Zanzibar de janvier au commencement d’avril, ils ne deviennent pas acquéreurs des esclaves récemment débarqués. Les esclaves à leur arrivée n’ont point de valeur ; exténués par les marches de l’intérieur, par les fatigues du voyage en mer, ils ont à recouvrer les forces qui leur permettront de subir un nouveau voyage. Trois mois sont accordés à ce travail de la nature, que favorisent le repos et une nourriture abondante. Ainsi les esclaves qui auraient été débarqués en janvier n’auraient été achetés et par suite embarqués qu’en avril. Les arrivages après janvier exposaient l’acheteur intermédiaire ou le détenteur aux lourdes dépenses d’un long entretien jusqu’au retour des Arabes l’année suivante. En théorie, la prohibition eût été plus raisonnable portant sur les mois d’octobre à janvier, qui précèdent l’arrivée des acheteurs annuels ; en fait, les obstacles eussent été également tournés, comme ils le seront constamment sous un régime de compression. Les esclaves eussent été acheminés par terre vers le nord, où seraient venus les prendre les négriers, abrégeant la distance de leur parcours surveillé. L’exportation des états de Zanzibar se perpétuait, et elle augmentait malgré le traité et les arrangemens qui avaient pour but de la prohiber absolument.

Personne n’ignorait cet état de choses. Pouvait-on en rendre le sultan responsable ? Certainement non. Il avait sans doute interdit l’exportation ; mais il était évident qu’on n’exigerait pas de lui qu’il mît ses ordres à exécution : le gouvernement de la Grande-Bretagne était, tacitement du moins, substitué à ses droits de répression. Les croisières opéraient sur tout le parcours des négriers, en dehors aussi bien qu’au dedans du canal. À Zanzibar même et aux divers points du littoral, des descentes eurent lieu, lorsque plus tard, l’interdiction de transport ayant été admise du 1er  janvier au 1er  mai, des barques, retardées par le mauvais temps, réussissaient à débarquer clandestinement leur cargaison. Enfin un tribunal ou cour d’amirauté jugeant en matière de prises était institué à Zanzibar, et le consul anglais se prononçait seul sur les captures faites par les croiseurs et ramenées à Zanzibar ; mais le plus souvent il rendait un jugement sur des prises que l’éloignement et le mauvais temps n’avaient pas permis de convoyer jusqu’au port, et qui avaient été brûlées en mer après que les esclaves avaient été transportés sur le bâtiment croiseur. Dans l’un et l’autre cas, les marchandises, — s’il s’en trouvait, ce qui était fort rare, les commerçans ne confiant