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ce qui les effraie, et qu’ils ne peuvent rien inventer de mieux que leur ritualisme pour lui faire échec ; mais cette habileté, moitié fraude et moitié illusion, est sûre de tourner contre ceux qui s’y laissent entraîner. En se dupant eux-mêmes sur leurs propres sentimens, — en dépensant leur esprit à chercher ce qui peut faire triompher leur volonté, plutôt qu’à découvrir ce qui est vraiment pour eux l’incontestable ou l’incroyable, ils ne peuvent réussir qu’à se cacher la vraie cause qui éloigne les intelligences de la religion et à prendre le poison même pour le contre-poison. De nos jours, tels que sont les hommes, ou du moins tels que les propagandes circulant dans l’air les ont rendus avant qu’ils aient vingt ans, il n’y a plus rien de possible pour eux qu’un scepticisme qui les livre à l’égoïsme, ou qu’une croyance dont ils pourront trouver la confirmation dans tous les faits de chaque instant. Ne pas voir cela équivaut pour les églises à un suicide. Celles-là seules reprendront possession des âmes qui en viendront de plus en plus à annoncer que ce qui sauve, c’est non pas la foi en un homme ou en une classe d’hommes, ni la foi en un gouvernement, ni la foi en des pratiques quelconques, mais la foi qui est un vif sentiment des lois par lesquelles le maître gouverne l’univers et avec lesquelles tous ont à compter sous peine d’être inexorablement frappés.

Que l’on me permette de l’ajouter : le conflit de la science et de la foi a beaucoup moins trait qu’elles ne le pensent l’une et l’autre aux choses d’en haut et aux choses d’outre-tombe. À bien voir, le nœud de la querelle se trouve dans l’idée traditionnelle que les églises nous donnent encore du devoir. La théologie toute la première n’oublie pas la terre, et son principal souci est toujours d’amener les foules à se conformer ici-bas aux conditions nécessaires de la vie ; mais la théologie représente l’expérience du passé, et est par là même défiante : elle sait que les foules sont mal capables de discerner les voies par lesquelles toute volonté contraire à ces conditions amène du mal au pécheur lui-même comme à ses voisins. En conséquence, elle est toujours tentée de prendre les aveugles par où ils se laissent saisir pour les détourner des actions malfaisantes dont ils ne peuvent prévoir la douloureuse réaction contre eux-mêmes. Si je ne me trompe, là est la grande pierre d’achoppement, car une telle manière de présenter le devoir donne à croire que le Dieu du ciel n’est pas tout-puissant sur la terre ; en tout cas, elle encourage l’idée que ce qui règne sur la terre n’est pas la justice, et c’est bien cette notion-là qui éloigne les intelligences de la religion des églises, comme c’est elle qui, par contrecoup, égare aussi la science. Elle suffit pour discréditer la théologie, parce que les consciences commencent à entrevoir la vraie