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pour les personnes familiarisées avec le style du voyageur, cette conformité qui atteste la personnalité. La Société de géographie de Paris prenait parti contre l’Américain. On contestait qu’il eût voyagé, on révoquait en doute qu’il eût rencontré Livingstone. Il fallut que le gouvernement de la reine et le foreign office donnassent leur attestation et un satisfecit pour qu’on admît enfin la réalité du voyage. Quant à M. Stanley, fidèle au système de mutisme qui lui avait si bien réussi, il se gardait absolument de répondre aux attaques. C’était moins le dédain des accusations, qu’il se sentait en état de réduire à néant, que le souci de sa célébrité qui le guidait. Quel moyen plus efficace pour donner du retentissement à une question que la discussion passionnée ? Le voyageur américain n’a pas précisément abandonné cette allure mystérieuse qui lui permettait de conserver jusqu’en Amérique toute la saveur de ses récits. Il n’a point écrit tout de suite, il a rarement parlé ; il réservait à ses compatriotes réunis le compte-rendu de ses voyages, dont on peut dire que la monotonie ne saurait se passer parfois, pour être goûtée avec faveur, du piquant de l’invention. Dans ces étapes de l’intérieur de l’Afrique, à travers un pays où les bois masquent, la plupart du temps, toute perspective, la quête de la vie matérielle de chaque jour, les marchés à conclure pour obtenir, au prix de quelques mètres d’étoffe, les approvisionnemens de la caravane, sont les sérieuses occupations ; les fatigues, les privations, sont les épreuves. Des mois de marche se passent sans qu’un incident vienne trancher sur l’uniformité. M. Stanley s’est rendu de Bagamoyo à Oujiji, au point où le docteur Livingstone se reposait de ses excursions ; il a fait ce que les caravanes font constamment. Toutefois tenons compte du courage d’avoir entrepris ce qui est réputé dangereux et de l’énergie mise au service de l’entreprise. Cela dit, nous devons convenir que le voyageur américain a été, avec une incontestable habileté, le metteur en scène d’une des plus prodigieuses réclames qu’on ait encore imaginées.

On en était resté en France à l’apparition de l’Américain et à la satisfaction d’apprendre que le docteur Livingstone vivait encore, quand l’attention vint de nouveau se porter sur Zanzibar. La presse française n’avait point été sans recueillir de temps à autre quelques articles de journaux anglais sur la traite ; mais jusque-là on n’avait pas constaté cette continuité d’intérêt qui grave un sujet dans la pensée du public. Les gens avises et réfléchis remarquaient que, si le docteur Livingstone n’avait pas encore dans ses longues pérégrinations donné la solution du problème des sources du Nil, son témoignage était constamment invoqué quand il s’agissait de déterminer les peuplades qui fournissent d’esclaves les pays musulmans. Cette mission, ajoutée à celle du savant, devait être autant que la première