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france par des avances de fonds très considérables qu’il tirait de ses propres relations et de l’établissement d’une caisse d’escompte qu’il avait créée. Il avait également soutenu de ses deniers (de 1764 à 1765) la maison des Enfants-Trouvés, qui périclitait, par un prêt de 300,000 livres pour lesquelles il ne voulut point accepter d’intérêts. Ce qu’il dépensa en constructions vers le même temps passe toute croyance : deux hôtels à Bayonne, des châteaux à Ferté-Vidame, à La Borde (en Bourgogne), à Méreville (dans la Beauce), trois grands hôtels rue d’Artois, aujourd’hui rue Laffitte, sans compter l’ouverture de la rue de Provence et cette maison en rotonde qui termine sur le boulevard la rue Lepelletier. On le disait également possesseur à Saint-Domingue de vastes domaines couverts de plantations dont il écoulait les produits sur nos marchés au moyen d’une véritable flotte. Pour juger ce qu’il valait, il suffit de rappeler ce qu’en dit Marmontel dans ses Mémoires. « Je le voyais honorable, mais simple, jouir de sa prospérité sans orgueil, sans jactance, avec une égalité d’âme d’autant plus estimable qu’il était difficile d’être aussi fortuné sans un peu d’étourdissement. De combien de faveurs le ciel l’avait comblé ! Une grande opulence, une réputation universelle de droiture et de loyauté, la confiance de l’Europe, un crédit sans bornes, un intérieur, six enfans bien nés, une femme d’un esprit sage et doux, d’un naturel aimable, d’une décence et d’une modestie qui n’avaient rien d’étudié, excellente épouse, excellente mère, telle enfin que l’envie elle-même la trouvait irrépréhensible. » De ces six fils dont Marmontel vient de parler, deux périrent dans l’expédition de La Pérouse ; le troisième, Alexandre de La Borde, mérite seul d’être rappelé, tant comme député dans les chambres de la restauration et du gouvernement de juillet que comme économiste et membre de l’Institut.

Quant à Lavoisier, un volume ne suffirait pas pour récapituler ce que le monde perdit en lui, et c’est moins de l’homme qu’il faudrait parler que de l’œuvre. Nous n’en toucherons que quelques mots, en les empruntant à un discours prononcé récemment par M. Wurtz devant l’Association française pour l’avancement des sciences. En de telles matières, un texte n’a de valeur que dans l’autorité dont il émane. « La chimie, a dit le doyen de la Faculté de médecine de Paris, a été non-seulement agrandie, mais rajeunie par Lavoisier. Vous connaissez l’œuvre de ce maître immortel sur la combustion, qui a donné à notre science une base immuable en fixant à la fois la notion des corps simples et le caractère essentiel des combinaisons chimiques. Dans ces dernières, on retrouve en poids tout ce qu’il y a de pondérable dans leurs élémens. Ceux-ci, en s’unissant pour former des corps composés, ne perdent rien de