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organes vitaux qui s’accordaient hier tendent aujourd’hui à la discorde. Le duel ou, si l’on veut, les rapports de la science et de la religion y sont décidément plus mal engagés qu’ils ne l’avaient été de longtemps.

Ainsi que je l’ai déjà dit, ce n’est pas la science qui a dénoncé la première le traité de paix et de respect mutuel que la raison et la foi avaient signé sur les bases de l’église anglicane ; les hostilités ont été engagées par le piétisme méthodiste, qui était lui-même une réaction contre l’indifférence amenée par le rationalisme du XVIIIe siècle, et qui a joué en pays protestans un rôle analogue à celui que l’ultramontanisme jouait dans les pays catholiques. Le réveil religieux a bravé la raison en se laissant aller à une sorte de théurgie spiritualiste, à une piété fébrile qui n’était plus guère que la foi en une opinion magique, par laquelle les hommes pouvaient surnaturellement obtenir la rémission de leurs péchés et les bénéfices de la justice sans avoir aucune condition à remplir. Et à cette religion irrationnelle la raison a répondu comme nous le savons : au lieu de s’en prendre à ce qu’il y avait de déraisonnable dans la façon dont le piétisme se représentait les volontés de Dieu et les devoirs de l’homme, elle s’est prononcée contre la croyance même en une puissance surnaturelle. À l’heure qu’il est, il se trouve que par ce radicalisme elle a simplement poussé la religion à reculer vers le moyen âge. Comme réplique au positivisme irréligieux et matérialiste, il y a le puseyisme et le ritualisme, qui en reviennent tout bonnement à l’idée du salut par une amulette matérielle, par des génuflexions sacramentelles et par la foi aveugle aux pouvoirs surnaturels du prêtre.

Ainsi les deux facteurs du progrès ont pris l’un en face de l’autre des attitudes de combat. La guerre est déclarée entre le passé et le présent, entre la théologie, venue d’une époque d’imagination qui expliquait tout par des influences mystérieuses, et l’intelligence de notre temps, qui n’aspire qu’à concevoir d’après les faits les lois de la nature. Le progrès par l’irréligion, la morale par la déraison, voilà ce qui se lit sur les deux bannières, et dans l’arène j’aperçois des hommes d’église et des hommes de cabinet ou de laboratoire qui discutent gravement si c’est la science seule ou la foi seule qui doit désormais régner, si désormais il n’y aura que des enfans ou que des hommes mûrs, si le monde sera mis au régime exclusif d’une croyance incapable de se faire accepter par les intelligences déjà formées, ou d’une philosophie scientifique incapable de faire l’éducation des inintelligens. Même dans la sage Angleterre les savans et les penseurs me font un peu l’effet de sauvages qui, par dépit contre le manitou de leur tribu, lui auraient donné un coup