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vention, il y eut pourtant quelques intervalles de détente : sur des pétitions qui lui étaient adressées par les détenus, elle leur reconnut le droit de défendre leurs intérêts ; comme le dit M. Alfred Lemoine, c’était défendre leur vie. Le comité de sûreté générale ordonna qu’ils seraient transférés dans le ci-devant hôtel des Fermes, rue de Grenelle-Saint-Honoré, où serait disposé un local propre à les recevoir tous ; ils étaient à même d’y trouver les documens nécessaires à leur défense et les moyens de justifier leur comptabilité. Dufourny, président de l’administration de Paris, et les conventionnels Jack et Dupin furent chargés de la surveillance et du transfert des prisonniers.

Ajoutons que cette surveillance n’était ni stricte, ni tracassière : on laissait aux détenus toute liberté d’agir et de se concerter entre eux ; les visites de leurs parens et de leurs amis étaient permises ; eux-mêmes, dans quelques cas, furent autorisés à sortir accompagnés d’un garde. En tout cela, on ne risquait pas grand-chose ; la haine publique faisait sentinelle autour d’eux, et au dehors ils eussent trouvé difficilement des complices, tant la terreur grandissante glaçait les plus intrépides dévoûmens. Cependant la délivrance serait si proche : encore quelques semaines à passer, voilà tout ; mais ces semaines de grâce, les fermiers-généraux ne les auront pas ; ils sont entourés d’animosités trop vigilantes. On compte désormais les jours, même les minutes, on est las de toutes ces lenteurs ; le soupçon plane sur les commissaires, qu’on signalera aux clubs, qu’on dénoncera, s’ils n’agissent. C’est alors que Dupin, au nom des comités, déposa le 16 floréal an II (4 mai 1794), sur le bureau de la convention, un rapport dans lequel il attaquait avec beaucoup de vigueur la gestion des fermiers-généraux et entrait dans le détail des abus qui leur étaient imputables. Il n’y a pas à insister sur ces abus si ce n’est pour dire qu’ils étaient la moindre partie de ceux dont la vindicte populaire demandait de temps immémorial le redressement, et dont les désastreux effets étaient dans toutes les mémoires : intérêts excessifs sur les avances faites au trésor royal, indemnités onéreuses à propos des traités de 1782, fraudes et excédans de poids sur le tabac par suite d’un mouillage exagéré, étrennes abusives, spéculations illicites sur les fonds provenant de la perception, toutes révélations provenant d’employés disgraciés et qui n’étaient rien moins que justifiées. Ce qui frappait le plus l’esprit dans cette récapitulation des griefs accumulés dans le rapport, c’était la fraude sur le tabac. « La mouillade, dit le défenseur dans le cours du procès, est le cri funèbre qui a conduit au supplice 34 fermiers-généraux. »

C’était beaucoup dire ; même sans cet appareil de détails, le ré-