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persécutions n’était pas encore venue. Cependant le règlement et l’apurement des comptes rencontraient plus d’une difficulté ; il y eut, dans beaucoup de cas, impossibilité de rassembler les documens nécessaires. Des émeutes avaient eu lieu dès les premiers jours de la révolution, où la foule s’était portée sur les barrières, dans les bureaux d’octroi et de douane ; un grand nombre de registres avaient été brûlés, et il fallait reconstituer tant bien que mal les élémens des recettes. D’ailleurs la marche des événemens changeait presque du jour au lendemain le rôle de la compagnie et la nature de l’instance. Au début, la compagnie réclamait ; peu à peu elle eut à se défendre ; de partie au procès, on en fit une accusée. C’est qu’aux assemblées constituante et législative avait succédé la convention, qui voyait d’un tout autre œil les hommes et les choses ; quand ses pouvoirs furent bien établis, elle chercha partout, comme dit l’Écriture, quelqu’un à dévorer. Vis-à-vis de la compagnie, elle montra d’emblée où elle irait. Des décrets successifs des 5 juin et 27 septembre 1793 supprimèrent les commissions des fermes, des régies générales et des domaines et déclarèrent les membres de tous ces corps solidaires pour la reddition de leurs comptes, qui durent être présentés au 1er avril 1794 pour dernier délai ; jusque-là l’exécution de tous jugemens contre eux fut suspendue et renvoyée à l’examen du liquidateur général. Une seconde fois alors les scellés apposés furent levés en présence des représentans du peuple Montmayon, Real et Dupin, de l’agent du trésor public et d’un commissaire de comptabilité. De tels préludes n’annonçaient rien de bon, et il s’y joignit, ce qui était inévitable dans ces malheureux temps, une dénonciation de tiers qui, anciens employés de la ferme-générale, lui imputaient des malversations et offraient d’en fournir les preuves. On les crut sur parole, et, formés en commission, ils eurent à examiner les papiers de ceux dont ils avaient été les subordonnés. Une prime leur fut même accordée sur le produit des recettes qu’ils procureraient au trésor. Pour surveiller leurs opérations, la convention nomma deux commissaires, Jack et Dupin : ce dernier surtout allait devenir l’âme d’une affaire qui devait si fatalement aboutir. Dupin avait été, prétendit Lesage (d’Eure-et-Loir) au jour des représailles, le valet des fermiers ; les malheureux étaient dès lors en bonnes mains.

Il fallut pourtant qu’un homme d’une notoriété plus sinistre s’en mêlât et fît franchir à ce commencement de poursuites un pas d’où on ne revenait guère, l’incarcération. Cet homme fut Bourdon (de l’Oise). Dans une de ces soirées où la convention, tombant de lassitude, cherchait à se remettre en haleine par la perspective de quelques exécutions, il eut l’idée de lui en offrir toute une série d’un goût raffmé. On était au 3 frimaire an II (23 novembre 1793) :