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Ces contradictions ne sont rares sous aucun régime ; mais, à raison de l’état des esprits, celle-ci fit plus de bruit et causa plus de scandale.

Sous Calonne, qui vint après d’Ormesson, les fermiers-généraux firent parler d’eux à un autre titre et donnèrent au public parisien un spectacle plein de curiosité. Vers les premiers mois de 1784, ils obtinrent, dans l’intérêt de leurs recettes, la permission d’enclore la ville d’un mur continu, qui à chaque barrière était terminé par un monument de style varié et souvent bizarre cù se logeaient les bureaux. Cette enceinte de 12,000 toises, remplaçant les anciennes barrières construites en mauvaises planches, fut l’œuvre d’un architecte ou plutôt d’un maître maçon nommé Pecoul et coûta 3 millions, elle eut moins pour objet un embellissement qu’un empêchement à la fraude, exercée auparavant sur une très grande échelle. C’était là entre les fermiers-généraux et le gouvernement un objet de constantes querelles. Cette fraude pesait principalement sur le tabac et devenait l’objet d’accusations réciproques. Pour Paris, une clôture plus rigoureuse y mit fin ; elle n’eut pas lieu, il faut le dire, sans exciter des réclamations, et l’on cite encore le vers qui caractérise cette invasion de maçons sur la limite des grands hôtels qu’habitait en général la noblesse :


Le mur murant Paris rend Paris murmurant.


Aux murmures se joignirent tout naturellement et pendant plus de deux années les brochures et les gazettes, qui ne s’occupèrent pas d’autre chose.

Ce travail touchait à sa fin quand arriva, en 1786, le renouvellement du bail des fermes. Cette fois des manœuvres de spéculation s’introduisirent au milieu des négociations régulières. Il se fit, parmi les agioteurs, un commerce qui prit le nom de bons de places des finances, et qui n’était qu’une scandaleuse exploitation de la crédulité publique. Il fallut qu’un arrêté du conseil dénonçât ces actes au lieutenant de police et aux officiers du Châtelet en leur donnant le soin d’en rechercher et d’en poursuivre les auteurs et les complices. « Le roi, dit l’arrêt, étant informé que des intrigans et des imposteurs s’efforcent de faire croire que, par de prétendues protections dont ils supposent être assurés, ils peuvent se procurer à prix d’argent des bons de places des finances et les faire réaliser, — qu’affectant de répandre le bruit qu’à l’occasion des fermes et régies générales il y aura plusieurs changemens et nominations nouvelles, ils sont parvenus à négocier des promesses chimériques, à entraîner des personnes trop crédules dans des engagemens et des actes de duperie que des notaires ou leurs clercs ont