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trôleur-général, et il le rappelle complaisamment, recevait des gratifications ordinaires en entrant en place, des présens de pays d’état, des jetons d’or ou d’argent offerts à chaque renouvellement d’année par des municipalités, des corporations ou des titulaires d’offices de finance, plus de certaines exemptions de droits comme celui que supportait la fabrication de vaisselle que nécessitait sa place.

Cet esprit de renoncement n’était pas d’une âme ordinaire, et la mise en scène contribuait à le faire valoir. En réalité, Necker est alors plus qu’un agent et un ministre du roi, c’est le principal instrument du règne. Non-seulement il rend des services gratuits, mais il avance au trésor de l’argent en son propre nom, et appuie de son crédit personnel les négociations d’emprunt à l’étranger ; la garantie de la France n’a de valeur que si Necker y ajoute la sienne. Son calcul en ceci était évident : s’emparer de la popularité à un point tel qu’il pût prétendre à tout et défier la disgrâce. Peu à peu ce directeur, comme on le nommait, devenait un maître. Pour rendre le terrain libre, il s’attaquait à la seule rivalité à craindre, celle des traitans, et ouvrait la première campagne de la banque contre la finance, c’est-à-dire de l’emprunt contre l’impôt. Necker, comme banquier, n’est pas tendre pour ceux qui ne le sont pas ; il les qualifie, dans son Compte-Rendu, de « gens à argent qui guettent continuellement le trésor royal et sa situation, et qui ne tardent pas à dicter des lois quand l’administration se néglige et n’a plus d’ordre ni de prévoyance. Les financiers, ajoutait-il, sont trop multipliés, et leurs bénéfices sont trop grands. » À quoi ces financiers répliquaient au ministre, non sans quelque humeur, que, « depuis Sully, les rois de France avaient préféré des compagnies de finances, persuadés qu’ils étaient que les banquiers ont deux patries, l’une où ils trouvent de l’argent à bon marché, l’autre où ils le vendent cher. » Des mots amers s’échangeaient ainsi, et des mots Necker passait aux actes ; il négociait à l’étranger les billets de crédit qu’il obtenait de la caisse des fermes, et avait porté à leurs bénéfices une atteinte plus grave encore. Sur les 600,000 livres de répartition dues à chacun des 60 fermiers-généraux du précédent bail, il n’avait accordé, par place, que 100,000 livres ; restaient 30 millions qu’il garda, avec promesse de les rendre bientôt. Le temps, comme on le pense, mit en oubli sa promesse, convertie plus tard en un prêt gratuit, que les événemens emportèrent avec tant d’autres choses.

Malgré ces récriminations, Necker n’en demeura pas moins, pendant quelques années encore, l’homme le plus populaire qu’il y eût en France ; les contemporains ne tarissent pas sur l’engouement