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Cet individu, ce stipendié, après avoir mis sa signature à côté de celle du roi, n’avait plus qu’à présenter des cautions qui se constituaient en société et fixaient le montant du fonds à fournir. Ce fonds servait à désintéresser l’adjudicataire sortant, à payer les marchandises et le matériel d’exploitation, enfin à verser entre les mains du gouvernement le montant de l’avance convenue par le bail. C’est à l’occasion de ce singulier contrat et de cette substitution de personnes que plus tard, dans le Tableau de Paris, Mercier publia la boutade suivante. « J’étais, dit-il, dans un café, assis à côté d’un Russe qui m’interrogeait curieusement sur Paris. Entre un assez gros homme en perruque nouée ; son habit était un peu râpé et le galon usé. — Vous voyez bien, dis-je à mon voisin, cet homme-là qui bâille et qui n’aura pas fait dans une heure ? — Oui, me dit-il. — Eh bien ! c’est le soutien de l’état et du trésor royal. — Comment ? — C’est lui qui donne au roi de France 160 millions et plus par an pour entretenir ses troupes, sa marine et sa maison. Il a affermé les cinq grosses fermes. Avant-hier il a signé le contrat avec le monarque. Les fermiers-généraux sont ses agens, ses commis ; ils travaillent sous son nom, ce nom qui remplit la France entière… Cet homme-là perçoit 160 millions et plus pour 4,000 francs par an. Il faut avouer que le roi de France est servi à bon marché, et qu’il a dans ce personnage un habile et fidèle serviteur. C’est Nicolas Salzard, le successeur de Laurent David et de Jean Alaterre. — Quand le Russe sut que c’était un valet de chambre, jadis portier, qui avait pris possession des fermes-générales et qui en avait signé le contrat avec le souverain en face de l’Europe, quoique poli, il ne put s’empêcher de rire au nez de Nicolas Salzard. Celui-ci n’y fit pas seulement attention. Il se leva pesamment, paya longuement et sortit machinalement et ne sachant de quel côté traîner son existence solidaire des revenus de l’état. »

Ce bail, plaisamment mis en scène, ne fut pas autre pour Laurent David, qui aligna bravement sa signature près de celle du roi et présenta ses cautions. Le fonds d’avances était de 93,600,000 livres, soit pour chaque fermier 1,560,000 livres, portant intérêt de 10 pour 100 sur les 60 premiers millions et de 6 pour 100 sur les 33,600,000 livres restant. Chaque fermier avait en outre, pour droits de présence et étrennes, 26,000 livres et de plus sa part de répartition dans les bénéfices à la fin du bail. Le nombre des fermiers-généraux était alors de soixante titulaires, plus vingt-sept adjoints. Ce fut sous l’abbé Terray que le bail fut renouvelé ; il en surveilla minutieusement les articles, voulut savoir le compte exact des fonds appartenant aux fermiers-généraux et ceux des tiers, le nombre des croupiers et le montant de leurs parts. Ces croupiers étaient des associés tantôt imposés, tantôt acceptés volontairement, et qui parti-