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À ce siège de l’installation principale s’ajoutaient de nombreuses annexes : d’abord le grenier à sel, situé rue des Vieux-Augustins et construit sous Louis XV pour cette destination, sur les dessins de La Joue ; puis l’hôtel de Bretonvilliers, dans l’île Saint-Louis, qu’occupaient les bureaux des entrées de Paris et aides du pays plat, enfin, depuis 1749, l’ancien hôtel de Longueville, qu’on avait approprié aux divers services de la ferme des tabacs. Cet hôtel de Longueville, si célèbre sous la fronde, et dont il ne reste plus de traces, est un exemple frappant des vicissitudes que peuvent subir les constructions historiques. Insolemment campé entre le Louvre et les Tuileries, avec sa façade tournée vers ce dernier palais, son assiette même ressemblait à un défi permanent jeté à la royauté. Il avait été bâti par un surintendant des finances, le marquis de Lavieuville, et acquis plus tard par Albert de Luynes, qui déjà prenait à tâche de braver le maître, habité enfin par Mmes  de Chevreuse et de Longueville, qui poussèrent jusqu’à la révolte ce voisinage et cette rivalité de résidences. Un siècle se passe, un règne s’écoule, et avec lui disparaissent ces ambitions et ces querelles. L’hôtel Longueville, tombé entre les mains de la ferme-générale, ne peut plus porter ombrage à personne ; il est devenu un grand magasin, ses beaux jardins ont été découpés en ateliers et livrés à des manipulations commerciales. Sous la révolution, la déchéance va plus loin, on y ouvre un bal public. Napoléon le rachète et l’affecte à sa liste civile ; enfin l’heure finale sonne pour les constructions comme pour les jardins : une démolition générale précède, en 1832, les agrandissemens projetés sur la place du Carrousel. M. Alfred Lemoine rattache un dernier détail à cette disparition de l’hôtel Longueville. « Un plafond, dit-il, où Mignard avait peint l’Aurore, reste des splendeurs de cette maison historique, tomba dans la poussière des décombres. »

Ces locaux acquis à grand prix, cette armée d’employés à la solde de la compagnie, ne pouvaient exister sans un instrument financier. Cet instrument était le bail des fermes, qui, aux termes de l’ordonnance de 1681, s’adjugeait par publications sur enchères. La durée en était de six années, et vers la fin de la cinquième on composait une moyenne qui servait de base pour la fixation du prix de la période suivante. Comme la ferme comprenait l’administration de plusieurs impôts, le gouvernement se réservait, au moyen d’une ventilation ou revendication partielle, la faculté de distraire du bail, moyennant indemnité, tout ce qu’il aurait intérêt à reprendre. Ce bail, arrêté par le contrôleur-général, était soumis à l’examen du conseil d’état, et plus tard à la sanction des cours souveraines, qui, par la forme de l’enregistrement, lui donnait force de loi. Circonstance singulière, l’affermage était ordinairement concédé à un prête-nom qui ne conservait aucune part dans l’administration.