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ses cheveux roux épars : — Pourquoi te lamenter, femme, puisque c’est ton œuvre ? Ne pleure pas, va-t’en. Tu m’as trahi. Les deux mille ducats enterrés t’appartiennent ; te voilà payée de tout.

Nous nous tenions debout autour de lui ; personne n’osait respirer. — Allons, braves gens, commanda Dobosch, enlevez-moi sur vos haches et portez-moi à la Tchorna-Hora ; partout ailleurs il y a trahison.

Quand nous fûmes devant les trois chênes, nous nous arrêtâmes, mais Dobosch fit un mouvement de tête et avec effort murmura : — Sous le hêtre ! — Nous le portâmes où il voulait ; debout, appuyé sur deux camarades, le visage couleur de terre et inondant de son sang la mousse verte : — Le temps de la séparation est venu pour nous tous, dit-il. Je meurs, frères, je meurs. Enterrez-moi donc sous ce hêtre, partagez-vous votre argent et puis dispersez-vous… Dispersez-vous dans le vaste monde. Vous ne serez plus brigands, car vous n’avez plus de chef !

Ainsi parla Dobosch. Autour de lui, nous pleurions. Jusqu’au coucher du soleil, son cadavre resta étendu à cette même place ; un rocher fut son tombeau ; nous lui fîmes les funérailles d’un guerrier, selon la coutume de nos montagnes ; auprès de lui furent déposées ses armes, sur sa poitrine une pièce d’or ; puis les cors des Carpathes retentirent pour la dernière fois au-dessus de sa tête : eux qui nous avaient appelés si souvent au combat et à la victoire, ils exhalaient maintenant un son plaintif et désolé. Chacun de nous déchargea dans la tombe son fusil et ses pistolets à mesure que se succédaient les pelletées de terre. Les dernières lueurs du soleil couchant se mouraient sur la montagne, et un orage soufflait du nord ; on l’entendait gronder au sein des nuées sombres sillonnées d’éclairs. Ainsi fut enterré Dobosch le brigand. Nous nous séparâmes ensuite, mais non pas pour toujours, en nous donnant rendez-vous au prochain anniversaire sur le tombeau de Dobosch. Plusieurs qui étaient descendus dans la plaine ayant été arrêtés et mis en prison, il arriva que le plus grand nombre d’entre nous resta fidèle à la montagne et à la vie de haydamak. J’étais parmi ceux qui, un an après la mort de Dobosch, se retrouvèrent sur la Tchorna-Hora au jour fixé. Quelle réunion ! chacun riait ou pleurait de joie, on se jurait amitié éternelle, on promettait de ne plus se séparer, on élut sur la tombe de Dobosch le futur watachko, et je ne sais comment il se fit, mes seigneurs, que je fus choisi, quoique indigne de commander à tant de braves gens.

Nous continuâmes la guerre le mieux possible, c’est-à-dire avec plus de précautions qu’auparavant. Nous n’avions plus la même confiance en nous-mêmes qu’au temps de Dobosch ; rarement on descendait