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Ne craignez rien, amis ; tant que je serai avec vous, nous tiendrons la montagne. — Les coups de fusil étaient en effet à notre adresse, mais ils n’avaient pas été tirés par des soldats. Deux paysans nous cherchaient pour déposer une accusation devant Dobosch, Stéphane, c’était le nom de l’un d’eux, ne voulait pas exposer sa jeune femme aux fatigues de la corvée, il travaillait pour deux ; son seigneur cependant, à qui la femme plaisait, lui avait ordonné de l’amener faire la moisson, et avait puni une première désobéissance par la torture des brodequins. On le menaçait de la bastonnade pour la prochaine fois. — Dobosch écouta Stéphane en souriant. Il arriva que le seigneur, au milieu d’une chasse où les paysans poussaient les chevreuils vers son affût, vit soudain s’entr’ouvrir la verte muraille du feuillage et paraître Dobosch. — Stéphane s’est plaint à moi, laisse-le tranquille, ainsi que sa femme ; autrement c’est toi qui seras bâtonné jusqu’à ce que ton âme s’enfuie vers l’enfer. — Le seigneur répondit en tirant sur Dobosch. — Tire, dit celui-ci, tu ne peux pas me tuer ! — En effet, la balle tomba par terre au lieu d’entrer dans la poitrine de notre chef, qui se mit à rire : — Vois-tu ? Fais donc ce que je t’ordonne. — Et le seigneur promit d’obéir m tremblant comme une feuille.

La nuit même, Dobosch se rendit chez Stéphane pour l’assurer qu’il n’avait plus rien à craindre, du moins il se persuadait que c’était pour cela ; mais en réalité une force magique l’attirait, il voulait voir cette femme qu’on disait si belle. Il frappe, Stéphane ouvre et le conduit dans la salle des hôtes, puis réveille sa femme et lui dit de mettre la table pour un hôte illustre. Dobosch était assis sur le banc, près du poêle, lorsqu’entra la Pzvinka Stephanova, pieds nus, vêtue d’un seul jupon, car elle avait quitté le lit en sursaut. Il soupira en la voyant et ne trouva rien à dire, mais elle sourit et rejeta en arrière ses cheveux roux, qui tombaient jusqu’à terre comme un manteau d’or. Dobosch pensait à l’étoile filante et se disait : — Si c’est une letaviza, c’en est fait de moi. Elle peut sucer tant qu’elle voudra le sang de mon cœur.

Peu après, Stéphane partit avec les autres pour la Polonina. En son absence, Dobosch rencontra Dzvinka dans un défilé profi)nd et solitaire de la forêt. Elle était à cheval comme lui, parée de corail et de monnaie d’or, éblouissante ainsi. Deux grands chiens blancs sautaient autour d’elle, et elle se tenait en selle à la façon d’un homme. Dobosch la salua ; elle arrêta son cheval et rajusta les broderies de sa chemise : — Où allez-vous, Dzvinka Stephanova ? demanda Dobosch.

— Stéphane est à la Polonina, répondit-elle. Que ferais-je ? Je me rends au marché de Szigeth.