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transmettent du grand-père au petit-fils et qui ne se trouveraient dans aucun livre. Par exemple, lorsque dans le vieux temps quelqu’un était de bonne origine, brave, exercé aux armes, il s’en allait chercher les aventures, il prenait dans un combat les biens et la vie d’autrui, et on le nommait chevalier ; les rois, les tsars, le gratifiaient de chaînes d’or ; aujourd’hui on le nomme un brigand, et, si on le charge de chaînes, elles sont de fer, mais c’est plutôt une corde qu’on lui passe au cou. Le haydamak n’était autre qu’un rebelle, et jugez si la rébellion était sans motifs : depuis des centaines d’années, il n’y avait pas chez nous de noblesse, on était l’un comme l’autre cultivateur, berger, le peuple choisissait lui-même ses juges, il n’y avait pas de guerre dans le monde à ce que contait mon grand-père. Alors sont venus les Allemands sur leurs bateaux blancs, les Polonais sur leurs chevaux noirs, et par eux la noblesse, des princes à qui tout le pays devait être soumis ; nous avons eu nos propres princes à Kief avant de tomber sous le joug polonais. L’oppression commença, le seigneur fit atteler le paysan à la charrue pour ménager ses chevaux. Les faibles courbaient la tête, les braves, s’ils avaient un cheval, décampaient pour gagner les steppes du Don et du Dnieper ; s’ils ne possédaient pas de cheval, ils se jetaient dans les marais, dans les forêts, surtout dans la montagne, et, réunis, commencèrent ainsi la guerre contre leurs tyrans, dont ils tirèrent vengeance, c’est vrai ! Dans les steppes du Don et du Dnieper, on les nommait cosaques, dans notre pays haydamaks. Certainement vous avez entendu parler du paysan Mucha, qui rassembla plus de dix mille de ses pareils et massacra la noblesse ; ce Mucha n’était qu’un haydamak, et ce Bogdan Hmelnizki, à qui le staroste Tchechrine avait enlevé son bien et sa femme, et qui, ayant en vain demandé justice aux tribunaux et au roi lui-même, envahit le pays avec les Cosaques et vainquit les Polonais en tant de batailles, ce héros dont le nom revit encore dans nos chansons, qu’était-il donc, sinon un haydamak ? Et les rebelles de l’Ukraine, les auteurs du massacre de Humany, qui tuèrent plus de cinquante mille nobles, les clouant aux portes comme des vautours, livrant leurs têtes en pâture aux fourmis, les jetant au feu ou les enterrant jusqu’au cou par centaines pour faucher leurs têtes comme des épis de blé, des haydamaks encore, des haydamaks ! Oui, nous leur avons fait cela ; mais eux, que nous faisaient-ils donc ? Ils nous volaient nos champs, nos femmes, si elles étaient belles, ils nous forçaient de travailler pour eux comme des bêtes de somme. Quand nous passâmes sous le régime du tsar, ces horreurs cessèrent, mais il y avait encore la corvée, il y avait encore le fouet du mandataire ; les clés de nos églises étaient encore souvent livrées aux