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petites oreilles pointues et des yeux d’escarboucle qui nous regardaient tranquillement.

— Mon Dieu ! qu’est-ce que cela ? s’écria Mlle Lodoïska.

— Un ours blanc, dit Lola.

— C’est le chien-loup du haydamak, fit observer en souriant mon cosaque, dans la journée un agneau, un véritable agneau.

À ces mots, il enlevait la barre tout en caressant la puissante bête. — Hé ! Mikolaï ! dors-tu ? cria-t-il en même temps.

Nous entrâmes et fîmes le tour de la maison, qu’une grande cour séparait de la grange et des étables, qui formaient la limite du jardin potager. Au levant, il y avait deux fenêtres grillées et deux portes ; sous les fenêtres, une galerie basse en bois conduisait à la salle aux provisions ; du côté sud se trouvaient placées des ruches.

— Vous avez ici la chaumière par excellence d’un Houzoule, dit le curé.

— Mais à quoi sert la haie qui l’entoure comme un rempart ? demanda Lola ; dans la plaine, on ne voit rien de pareil.

— C’est une défense contre les ours et les loups.

— Mon Dieu ! répéta Lodoïska.

En ce moment sortit de la cabane un homme que nous reconnûmes aisément pour le maître, pour le vieux brigand, bien qu’il n’y eût rien de farouche dans son aspect, rien de fantastique dans son costume ; mais tout son être révélait une force tranquille, écrasante, mais son visage sillonné par les orages de la vie produisait une impression respectueuse et mélancolique comme ferait un vieux drapeau déchiré par les balles. Il était de haute taille parfaitement proportionnée. Sa poitrine se soulevait robuste sous la grosse chemise d’une extrême propreté, ses mains brunes et maigres aux veines saillantes reposaient immobiles dans une large ceinture de cuir. Son visage blême aux traits expressifs et accentués était encadré d’épaisses boucles de cheveux noirs où brillaient quelques fils d’argent. Les sombres sourcils se réunissaient au-dessus de grands yeux d’un brun clair, des yeux qui semblaient dire : — Ne te donne pas la peine de feindre, frère, je vois en toi comme à travers une vitre, je connais les hommes, je connais la vie. — Ses lèvres d’un beau dessin ferme et mélancolique étaient ombragées par une moustache noire pendante. Son regard passa rapidement sur nous, et il nous reçut avec plus de politesse que de cordialité. Quand le chapelain lui eut fait part de notre demande : — C’est impossible ! répondit-il après avoir réfléchi quelques instans. Notre ataman se marie, et nous l’offenserions en manquant à la noce.

— Un prétexte ! fit observer Mlle Lodoïska en français ; il espère nous extorquer plus d’argent.