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LE HAYDAMAK


I.

Je venais de m’éveiller. Faute d’un objet plus digne, j’étudiais la toile d’une grande araignée porte-croix qui avait tissé son palais aérien au-dessus de ma tête, lorsque je vis entrer mon cosaque. S’arrêtant sur le seuil, il regarda d’un œil méditatif le bout de ses bottes brillantes. Cette attitude annonçait toujours quelque événement ; aussi demandai-je, non sans curiosité : — Qu’y a-t-il donc, Ivach ?

— Ce sont des messieurs de Lwow[1] qui désirent aller dans la montagne, répondit-il très haut, — il avait l’habitude, quand le courage lui manquait pour demander quelque chose, d’appeler à son secours toute la force de ses poumons, — voilà ! Et, savez-vous, maître, j’ai pensé que nous pourrions, nous aussi, faire une partie. D’ailleurs, ajouta-t-il avec élan, ils ont avec eux des dames, des dames charmantes !

Je m’habillai à la hâte, je pris mon fusil, des provisions, et nous partîmes pour la kartchma[2], où je trouvai en effet un groupe de touristes qui avait quitté la capitale lointaine dans le dessein de visiter nos Carpathes orientales, la montagne et le lac noirs. Je me présentai aux dames d’abord, bien entendu ; l’une d’elles, Mlle Lola, était vraiment ravissante avec ses diables d’yeux noirs pétillans et les grâces espiègles que possèdent seuls au même degré une jeune Polonaise et un petit chat. En revanche, sa compagne, Mlle Lodoïska, n’avait rien de remarquable qu’une physionomie ennuyeuse comme celle des vierges de Holbein ; elle atteignait

  1. Lemberg.
  2. Auberge.