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S’il faut tout dire, le chevalier Daydie se rappelait encore un autre talent où il n’excellait pas moins : l’ancien amant d’Aïssé faisait une cour des plus galantes à une veuve d’un certain âge, la comtesse de Tessé, dame du palais de Marie-Josèphe de Saxe. La première lettre à son adresse, dans notre recueil, est datée de Paris, où le chevalier venait quelquefois ainsi qu’à Versailles : c’est un adieu très tendre, un demi-aveu assez transparent où, tout en s’écriant : « Je vous aime, » le chevalier proteste qu’il n’oserait exprimer les sentimens dont son cœur est rempli de peur d’en laisser échapper qui ne paraîtraient point assez mesurés. Le ton des lettres adressées à Mme de Tessé change visiblement l’année suivante : il n’est plus qu’amical et empressé ; il y a quelque dépit et une certaine amertume dans les paroles du chevalier. La comtesse, paraît-il, ne lui écrit jamais que « quatre mots bien jolis et bien polis. » Il lui mande de Plombières, où il passa les mois de juillet et d’août 1749 : « Je compte, madame, avoir l’honneur de vous voir à la fin du mois. Je voudrais bien vous paraître rajeuni ; j’en doute. C’est néanmoins dans cette intention que je prends les eaux très scrupuleusement. » Veut-on une déclaration en forme ? Le chevalier est de retour à Mayac, et c’est de son manoir qu’il écrit à la comtesse de Tessé : « Que n’osé-je porter mes vœux plus loin et imaginer, après m’être associé autant que je puis à vos goûts et à vos inclinations, que je pourrai à mon tour vous conduire à trouver bon que je vous avoue que je ne me contente pas de vous respecter autant que je le dois et que je vous adore aussi, madame, de tout mon cœur. » La phrase singulièrement contournée et embarrassée du pauvre soupirant se ressent de l’émotion où il était. Son épître fut mal reçue ; la dame paraît lui avoir défendu de « l’adorer ; » on exigea plus de retenue à l’avenir. « Comment accorder cette mesure scrupuleuse que vous exigez, s’écrie-t-il, avec les transports d’un cœur sensible et qui voudrait s’offrir tout entier à vous ? » Le chevalier Daydie était incorrigible. L’âge et surtout le premier accès de goutte allaient mettre un terme à ces risibles retours de jeunesse. L’amant d’Aïssé va pour tout de bon « prendre ses grades dans le vénérable collège des vieux, » comme il dit lui-même. Perclus, reclus, « la mâchoire hypothéquée, » c’est presque toujours dans « sa chaise curule, » le pied gauche ou le pied droit tenu en l’air, qu’il recevra ou dictera des lettres.

En vieillissant, le bon chevalier était devenu processif comme pas un Périgourdin ; mais, ayant pour principe que « ne rien faire est le premier de tous les biens, » il ne se mettait guère l’esprit à la torture et recommandait tous ses procès au bailli de Froullay. Les plus terribles adversaires du chevalier de Malte étaient les moines qui occupaient son prieuré. Ces maîtres chicaneurs ne lui laissaient point une heure de répit. Dès qu’il s’agissait des moines, — qu’il appelait des diables, — il ne savait plus à quel saint se vouer. Il en écrivait à Paris et au monde