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et aux répressions dont leurs partisans sont l’objet ils répondent par des fusillades de prisonniers. Bref, c’est une guerre impitoyable et sanglante qui en se prolongeant finirait par ravager l’Espagne.

L’Europe peut-elle intervenir utilement, efficacement dans cette lutte ? Elle ne le peut évidemment qu’en prêtant au gouvernement de Madrid la force morale d’une reconnaissance diplomatique qui lui a manqué jusqu’ici, qui ne paraît plus devoir lui manquer longtemps. Le gouvernement du général Serrano, bien que né d’un coup d’état qu’aucun vote n’a légalisé depuis, bien qu’ayant assez peu réussi dans ses campagnes contre le carlisme, ce gouvernement après tout, tel qu’il est, représente l’Espagne libérale, et ce n’est pas la France qui aurait pu lui refuser l’appui de relations amicales. La France, quoi qu’on en dise, est trop peu intéressée au succès du carlisme pour avoir été son complice. Malheureusement cette question, qui aurait pu être très simple, s’est compliquée de deux choses. Un certain nombre de journaux espagnols ont pris dans toute cette affaire le ton le plus insultant à l’égard de la France, et ce n’est pas seulement à l’égard de la France qu’on prend à Madrid ces libertés injurieuses. Au moment même où l’on brigue la reconnaissance de l’Angleterre, on viole sans façon des engagemens financiers avec les porteurs de bons anglais, de sorte qu’il faut en vérité que le gouvernement anglais et le gouvernement français y mettent la meilleure volonté pour n’écouter que les intérêts nationaux. Ils n’hésitent pas, et ils ont raison ; ils soutiennent de leur appui moral l’Espagne libérale dans ses luttes, c’est la meilleure politique. D’où vient cette intempérance des journaux espagnols ? Elle est probablement encouragée par l’initiative que M. de Bismarck a prise dans cette question. M. de Bismarck s’est constitué le protecteur du gouvernement de Madrid, et il s’est donné beaucoup de mouvement pour faire reconnaître son protégé. Le chancelier allemand a-t-il eu des raisons particulières de rendre ce service au général Serrano et à son cabinet ? C’est une énigme que nous ne nous chargeons pas de déchiffrer. Toujours est-il que M. de Bismarck, pour un homme si habile, n’a pas fait une campagne diplomatique des plus brillantes, et que malgré son insistance, peut-être à cause de ses airs de prépotence, la Russie refuse la sanction diplomatique qu’on lui a demandée. Il en résulte que cette reconnaissance du gouvernement de Madrid ne laisse pas d’être une affaire assez laborieuse. Le général Serrano rendrait un plus grand service à son pays aussi bien qu’à lui-même en faisant un peu moins de diplomatie avec M. de Bismarck et en allant frapper la cause carliste au cœur dans les montagnes de la Navarre.


CH. DE MAZADE.